vendredi 31 juillet 2009

Les Town Ship de Cape Town



Il existe dans le monde des zones urbaines où, dit-on, il est totalement inconscient pour « un blanc » de s’aventurer seul.
Parmi les plus tristement célèbres, il n’y a pas si longtemps le Bronx de New-York avait cette réputation. Aujourd’hui les Town Ship de Cape Town sont dans le « top 50 » de ces zones de non droits issues de la ségrégation raciale, religieuse et/ou encore économique, où des communautés d’exclus survivent dans des conditions plus que précaires en ayant développé leurs propres codes sociaux hors des repères communs. Telle est en tout cas la description résumée qui nous en est faite.
L’histoire presque légendaire des Town Ship de Cape Town est évoquée dans tous les guides touristiques. Mais lorsqu’il s’agit de les situer physiquement avec précision sur un plan, rien n’est clairement indiqué. Etonnant. En revanche, des visites de découverte sont organisées sur une demi-journée par des tours opérateurs locaux… Pour tout dire, à priori cela m’apparaissait quelque peu étrange, voir suspect, plus que réellement risqué. Et je dois reconnaître que sans l’initiative de Flo je me serais bien passé de cette expérience. C’eut été une erreur.

Nous sommes donc partis de bon matin, sous une pluie battante, dans un mini bus flambant neuf, pour une immersion dans ce monde à priori hostile et inconnu, sous la houlette et protection de Song notre sympathique guide.
35 ans environ, Song est un « beau bébé » noir de 130 kg issu des Town Ship de la périphérie est de la ville.
L’une des premières clés d’entrée est donc le guide natif du quartier.

Pendant la demi-heure de trajet, Song nous résume l’histoire de l’apartheid en Afrique du Sud, depuis les origines à la fin des années 40, le durcissement dans les années 60 et 70, puis le changement de régime sous l’action pacifique historique du charismatique Nelson Mandela, de connivence avec le tout dernier dirigeant blanc du pays fraîchement nommé, Frederick De Klerk. En seulement deux ans, ils ont réussi une extraordinaire transition politique et démocratique du pays qui leur a valu le prix Nobel de la paix en 1993.

Pour s’imprégner de l’histoire des Town Ship, un rapide arrêt est organisé au musée de l’apartheid dans l’ancienne Eglise de la zone n°6, quartier de centre ville dont les résidents noirs de l’époque ont été chassés brutalement au milieu des années 60 avec la destruction de leurs maisons, à la faveur de la « réhabilitation » du quartier en zone de développement économique…

Puis nous filons vers la périphérie est de Cape Town, au cœur du Town Ship natif de Song. Effectivement l’endroit n’est pas reluisant, avec au premier abord de vieux bâtiments en dur des années 60 pour le moins défraichis.
Une jeune fille nous emmène alors visiter un « appartement » complètement délabré où soit disant 16 personnes vivraient encore. Une femme accompagnée d’une petite fille est là, courbée sur un balais court, ramassant un tas de détritus. Trois jeunes Américaines nous accompagnant pour ce tour de découverte s’émeuvent immédiatement de la scène qui au premier coup d’œil à en effet de quoi impressionner. Mais la ficelle semble tout de même un peu grosse : vitres cassées, matelas contre les murs n’ayant pas bougé depuis des années, lavabo sec d’eau depuis des lustres… Bref, de toute évidence la scène est jouée. La visite n’est pas bien engagée d’autant qu’au pied du bâtiment quelques commerçants de circonstance nous proposent des articles de l’artisanat « local ».

Nous remontons dans le bus plus que sceptiques et entrons dans une zone type bidonville où s’entassent des constructions légères faites de bric et de broc reliés par un improbable enchevêtrement de fils électriques. Tandis qu’il pleut toujours, ici et là du linge est étendu attendant les rayons de soleil. Quelques épaves de voiture « égayent » le paysage. Nous faisons un arrêt sous un abri de tôles enfumé où des gars du coin, désœuvrés, boivent une sorte de bière artisanale atour d’un braséro dans un bidon. Plutôt sympa les gars. Du bout des lèvres nous goûtons ce breuvage faiblement alcoolisé et pour le moins insipide. A 15 centimes d’Euro les 2 litres on ne peut pas attendre beaucoup plus mais ça permet de tuer le temps.
Entre les baraques, des femmes traversent les « rues » de terre battue ruisselantes de boue. Un peu plus loin un alignement de toilettes préfabriquées exhale des odeurs d’urine. A notre approche un chat noir mouillé part en courant. Ici des gens vivent au quotidien dans des conditions misérables et nous passons comme des curieux guidés par un p’tit gars du coin qui a réussi, si fier de nous montrer son quartier... La scène est quelque peu surréaliste, gênante et même dérangeante pour nous. Mais cette fois il s’agit bien de la vraie vie des gens d’ici, pas de théâtre.

La découverte se poursuit par un arrêt dans un jardin d’enfants, au cœur du bidonville, animé par 2 femmes passionnées qui nous expliquent avec fierté le fonctionnement de « l’établissement » crée à l’initiative de la communauté.

Puis nous enchaînons avec une visite du « plus petit hôtel d’Afrique du Sud », en fait une baraque sur deux étages où Vicky, une femme de tempérament, a aménagé 4 chambres pour recevoir des touristes de passage dans le quartier…

Tout cela peut sembler incroyable pour nos yeux d’Européens, mais, malgré la misère matérielle omniprésente de ce Town Ship, on y ressent une réelle énergie, même un certain bonheur de ces gens ayant retrouvé leurs droits fondamentaux, fiers d’être Sud-Africains, mobilisés pour se créer un avenir meilleur.
Song nous explique qu’ici, une frange de la population accédant à plus d’aisance économique reste y construire leurs petits pavillons tout en soutenant les initiatives des plus modestes. Toujours cette notion de communauté oublié chez nous depuis bien longtemps.

Et nous terminons notre visite par des quartiers en cours de réhabilitation où sont construits de modestes logements populaires neufs pour lesquels les listes d’attentes sont de plusieurs années.

De retour à notre Guest House nous sommes accueillis par Catherine, la très joviale et énergique jeune femme noire en charge du fonctionnement de la maison.
- Alors, vous avez aimé la visite ? nous demande t-elle.
Très franchement nous lui répondons en confirmant l’intérêt de découverte tout en émettant des réserves sur le côté un peu artificielle de l’organisation.
Ce à quoi, sans coup férir, et avec une pointe de fierté, elle répond du tac au tac :
- Oui, mais sans cela vous n’auriez rien vu ! Ce que vous avez découvert c’est la vraie vie. Je suis de là bas vous savez. Votre visite est aussi un motif de fierté pour ces gens qui aspirent à une vie meilleure ; pour qu’ils ne se sentent pas rejetés. Tout seul vous ne pouviez pas le faire.

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