vendredi 18 mai 2018

Les gilets jaunes de la citée bleue



Chefchaouen a longtemps bénéficié d'une réputation sulfureuse, comme la plaque tournante du trafic du chit au cœur du Rif Marocain. Et je me souviens avec une pointe d’émotion de ma première découverte de la ville. C’était au début des années 80. On y accédait alors par une piste rocailleuse avec l’impression d’entrer dans une cité interdite. Sans doute était-ce aussi la candeur de mes 20 ans qui amplifia l’effet produit, mais j’en garde le souvenir d’un moment particulièrement intense en émotions.
C’est donc avec curiosité que je souscris à la proposition de Didier de nous y rendre aujourd’hui pour passer la nuit.

Mais il faut déjà pouvoir partir...

Comme chaque matin nous procédons aux vérifications d’usage sur nos machines, étant personnellement chargé de la « lourde responsabilité » de contrôler les niveaux d’huile. En fait une question de doigté pour atteindre la jauge cachée sous le gros réservoir, sans avoir à le démonter, travail de « gynécologue mécanique » que je suis seul capable de réaliser…
Donc assis sous la machine, du bout des doigts il s’agit de dévisser la jauge, l’attraper sans la faire tomber dans la sabot moteur, contrôler le niveau en priant de ne pas avoir à rajouter d’huile – car il faut alors démonter selle et réservoir – puis la revisser, toujours sans la faire tomber. Tout cela sur les 2 motos.
RAS sur la moto de mon camarade. 
Quant à la mienne, le niveau semblant trop bas, pas d’autre choix que de démonter, histoire de démarrer la journée les mains dans le cambouis.
Donc démontage, rajout d’huile et nouveau contrôle. Mais pas mieux. Alors j’en ajoute de nouveau lorsque mon camarade me rappelle très justement que la procédure doit se faire à chaud, ce que j’avais négligé. Pas de problème, je démarre donc le moteur, opération immédiatement suivie un cri d’orfraie de mon équipier hurlant des arrête ! arrête ! arrête j’te dis ! Le temps que l’information monte jusqu’ à l’os de mon cerveau, des gerbes d’huile sortent du regard de la jauge non refermée. Passons les noms d’oiseaux... et je referme donc le bouchon de la moto maculée d’huile, fais chauffer le moteur pour constater que le niveau est maintenant bien trop haut. Ben oui, normal...
Vidange partielle du carter et recontrôle. Nouveau démarrage de la moto, et nouveau cris d’orfraie… les mêmes causes produisant les mêmes effets… sous l’œil médusé des clients occupés à siroter un café à la terrasse de l’hôtel, tandis que nous nous tordons de rire devant le ridicule de la situation.
Le troisième essai est finalement le bon. Rapide nettoyage de la mare d’huile sous la moto, puis nous filons vers Chefchaouen par les routins bucoliques de montagne bordés de fleurs multicolores.

L’arrivée sur la ville par le Sud offre une vue saisissante sur la cité bleue à flanc de montagne. A la recherche d’un lieu de villégiature pour le nuit, nous repérons un petit hôtel dans une petite rue crasseuse à proximité d’une étroite porte de pierres voutée accédant à la Médina. S’agitant autour de nos motos au ralenti, un type d’âge mur à l’air patibulaire, affublé d’un gilet jaune crotté et d’un sifflet prend les choses en main pour nous indiquer où stopper et immédiatement proposer des chambres à louer. N’étant pas des perdreaux de l’année nous lui confions la surveillance des motos et choisissons notre hôtel en toute liberté un peu à l’écart : maison très simple avec une petite chambre donnant accès à la terrasse sur le toit.
En bas, dans la rue les choses s’organisent. Les clients étant harponnés – nous – chacun doit assumer son rôle pour en tirer le meilleur parti. Ce sera 4 euros pour le gardiennage des motos, 5 pour les petits déjeuner au café d’en face, 25 pour la chambre, et bien sûr la possibilité d’acheter du chit.

La déambulation nocturne dans la médina est agréable. Dédale de ruelles sombres où l’on imagine toutes les intrigues d’un bon film d’aventure. Le poulet rôti au riz dégusté à côté de la boucherie ou l’on achète son poulet vivant aussitôt préparé sous vos yeux à une saveur particulière.
8h du matin, nous chargeons les motos. Au moment de démarrer, une petite dame qui observe la scène se précipite vers un gars endormi sous un porche à quelque pas (un tout jeune, pas le même qu’hier soir). Celui-ci, les yeux encore pleins de sommeil, enfile aussitôt à l'envers un gilet jaune pour venir prélever la dîme de gardiennage.
Bien dormi ? lui demande-t-on avec un sourire entendu…
Très bien M’sié.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il encaisse les 4 Euros dont une petite partie lui reviendra sans doute.
 
Nous quittons Chefchaouen vers Ceuta où le Ferry de milieu d’après-midi nous attends.
Il est maintenant temps de refermer, avec un large sourire, la dernière page de ce off-road trip ponctué de moments de plaisir et de (re)découvertes au cœur de ce Maroc toujours aussi passionnant.





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