lundi 1 février 2016

Tous les voyages ne se valent pas


L’histoire (vraie) que je vais vous compter restera dans mes anales de voyageur. Vous allez comprendre pourquoi.
Cela commence par un demi-tour du monde en un 20aine d’heures de vol, jolie courbe dessinée vers l’Est depuis Atlanta, Paris et enfin Shanghai où l’avion de pose en un parfait kiss-landing sur le tarmac embrumé. Débarquement rapide puis direction l’immigration pour le contrôle des passeports.
Pour être tout à fait franc, je ne suis pas complètement tranquille concernant mon visa, pour la bonne et simple raison que je n’en ai pas. Il m’a en effet fallu caler ce voyage à la toute dernière minute pour tenter de boucler une importante affaire. Renseignements pris, selon certaines sources il semblait possible d’obtenir un visa de 72 heures à l’arrivée. D’autres disant que ça ne pouvait être que pour un transit, littéralement une escale pour se rendre d’un point A à un point B. Pardon de vous faire l’explication, mais vous comprendrez pourquoi par la suite.
Comme si de rien n’était, deux lettres d’invitation en main je me présente donc au contrôle. L’agent vérifie alors soigneusement mon passeport sans y trouver le moindre visa valide. Après l’avoir repris page à page il me regarde pour me dire to de go dans un anglais acceptable :
-       Désolé Monsieur, mais sans visa vous ne pouvez pas rentrer sur le territoire Chinois.
-       Vous avez raison lui dis-je, mais ce n’est que pour un transit de moins de 72 heures.
-       D’où arrivez-vous ?
-       D’Atlanta via Paris.
-       Pour aller où ?
-       Je vais rentrer à la maison.
-       Et c’est où votre maison ?
-       En France…
-       Donc vous retournez à Paris.
-       Oui, c’est bien cela.
-       Vous n’êtes donc pas en transit Monsieur. Un transit c’est lorsque… (voir explication ci-dessus). Or vous retournez à votre point A de départ.
-       Non pas tout à fait, car je suis parti d’Atlanta. En fait je devais initialement passer par New-York mais ai du changer mon vol au dernier moment… et patati et patata…
Sur ce, l’agent 2 étoiles disparait quelques minutes pour revenir accompagné d’un 3 étoiles. Je reprends donc mon histoire en demandant de rentrer en Chine pour un très important rendez-vous.
-       Non Monsieur, ce n’est pas possible me dit-il aussi très fermement. Vous n’avez pas de visa. La loi ne vous permet donc pas de rentrer dans notre pays et vous devrez reprendre le prochain vol de retour sur Paris dans 2 heures.
J’insiste : rendez-vous d’affaire très important, déjà venu en Chine plus de 50 fois, et d’ailleurs il n’y qu’à voir le nombre de visas tamponnés sur le passeport, Président de plusieurs entreprises Chinoise etc… Tout est vrai, même si dans le contexte cela peut sembler un peu exagéré. Mais rien n’y fait. Et il me prie de le suivre vers une espèce de cage connexe au bureau de l’immigration où je suis invité à patienter en compagnie d’un Indien à l’air désabusé. Je lui demande depuis combien de temps il est ici en stand-by. Plus de 3 heures ! Ca promet…
Dans le bureau on s’agite visiblement autour de mon passeport. Mon collègue Pieter qui est passé sans encombre regarde la scène d’un air dubitatif.
Après une bonne heure d’attente pendant laquelle je contacte mes collègues Chinois pour leur expliquer la situation et tenter une improbable action, auprès de je ne sais qui d’ailleurs, on m’envoie une émissaire à qui je raconte une nouvelle fois gentiment mon histoire en lui demandant de débloquer cette situation ridicule. Elle m’explique tout aussi gentiment que je vais devoir reprendre le premier vol de retour. Je commence à protester plus « vigoureusement » et ce sont cette fois-ci 2 hommes aux mines un peu tendues qui me redisent ce qui m’attend. Puis m’invitent à les suivre, ce que je refuse catégoriquement. Encore une demi-heure se passe. Une autre dame vient tenter de me convaincre de la suivre. Sans plus de succès. 
C’est alors qu’une armée de policiers déboulent, me cramponnent littéralement pour me porter hors de la cage et m’emmener de force. Inutile de résister ils sont trop nombreux. Nous traversons ainsi tout l’aéroport. L’action est filmée par un officier. Je vous laisse imaginer la situation : passage manu-militari de la douane devant des centaines d’arrivants médusés, puis le grand hall de l’aérogare, la zone d’enregistrement, la sécurité, la zone d’embarquement. Je traine un peu les pieds espérant un miracle de la part de mes collègues dont je reçois des SMS auxquels je ne peux répondre compte tenu de ma situation « précaire ».
Nous arrivons maintenant dans le tunnel d’accès à l’avion où nous croisons un homme furieux. J’apprendrai par la suite qu’il s’agissait de la pauvre victime collatérale de ma situation. L’avion étant plein, quelqu’un devait être évacué pour permettre aux autorités Chinoise de renvoyer à la maison un migrant clandestin. Mais au moment même de monter à bord, le chef de la troupe reçoit un coup fil et stoppe aussitôt le mouvement. Par miracle quelque chose est visiblement de train de se passer. Les petits soldats semblent un peu désorientés. Dans la confusion on me demande d’attendre devant la porte. Un quart d’heure passe. L’avion est déjà en retard et la situation devient chaotique. Je me demande alors ce que le commandant de bord peut bien raconter aux passagers. Le chef a disparu et un autre gradé vient reprendre l’affaire en main en me demandant de le suivre. Le vent tourne. On me conduit non loin de là dans un petit local où deux policiers très gênés procèdent à une fouille en règle de mes bagages et me demande de me déshabiller. Un peu surpris je demande s’il s’agit d’une plaisanterie :
-       Vraiment désolé Monsieur, ce sont les ordres.
Pour être sûr je fais répéter encore une fois la demande qui m’est bien confirmée.
Et me voilà donc parti pour une séance de strip-tease matinale devant un public clairsemé. Difficile de contenir mon envie de pouffer. Un fois en slip, ne sachant plus où se mettre, mes 2 amis me demandent de me rhabiller. Je ne me fais pas prier.
Encore une heure d’attente puis l’on m’invite à suivre le mouvement à travers un dédale de couloirs dans les sous-sols de l’aéroport pour finalement ressortir dans la zone d’immigration, devant le bureau des visas ! Retour à la case départ et à priori un progrès m’indiquant, peut-être, que l’on veut me remettre dans le droits chemin. Je reçois toujours des SMS de mes collègues auxquels je ne suis pas autorisé à répondre. Mais je comprends que l’on s’occupe de moi.
Encore une heure d’attente devant cette fois-ci un fonctionnaire administratif visiblement dépassé par la situation, et toujours chaperonné par un policier nettement plus détendu. Rien ne semble avancer jusqu’au moment où, à ma grande surprise, je suis rejoints par Yaping, un collègue Chinois tout sourire qui m’explique être parvenu jusque-là grâce à un copain d’école qui est en train de négocier avec les plus hautes autorités une dérogation spéciale me concernant.
Encore une heure d’attente. Le gentil policier m’apporte une bouteille d’eau et un paquet de gâteaux. Tiens, tiens, aurait-on des choses à se faire pardonner où est-ce par simple compassion ? Il faut dire que j’ai une mine défaite, voyageant depuis plus de 30 heures sans avoir pu fermer l’œil. Je m’affale sur une chaise et pique du nez. On me réveille pour me faire faire des photos. Je comprends alors que c’est plus qu’une question de temps. Encore un formulaire à compléter, 120 $, 30 minutes et l’on me redonne fièrement mon passeport affublé du fameux sésame. Tandis que je m’apprête à suivre Yaping par les couloirs de l’administration aéroportuaire, le gentil policier me demande de suivre le circuit normal. Me revoilà donc dans la file des arrivants… Au moment du contrôle l’agent me demande ma provenance.
-       Paris lui dis-je tout sourire.
-       Mais Monsieur, le vol est arrivé depuis plus de 6 heures.
-       Je sais, mais l’on m’a invité à visiter l’aéroport.
Pas sûr qu’il ait compris. Sans plus de question il tamponne mon passeport et je peux maintenant rentrer officiellement en Chine.
Je repasse devant le bureau de l’immigration où l’on m’attend. Le chef me demande de patienter quelques minutes, le temps de rassembler ses agents, de bien les aligner devant moi, puis me faire une petite morale en soulignant combien la Chine avait été compréhensive à mon égard, compte tenu, je site « du remarquable développement économique que vous faite dans le pays ». Je le remercie « chaleureusement ». Mon voyage d’affaire peut enfin commencer.

(Il se terminera par une happy-end sous la neige à Shanghai. Parait-il un heureux présage pour le nouvel an Chinois qui arrive en fin de semaine).


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