Encore éblouis par notre première
journée à Ispahan, nous pensions en avoir découvert le meilleur et profiter de
notre dernière journée pour musarder au « hasard » des ruelles, places
et autres bazars de la vieille ville, ou simplement nous arrêter dans les
petits cafés regarder passer les gens. Mais il en fut tout autrement au moment
même où nous débouchions sur la Place Royale, renommée fort à propos Place des Imams
après la révolution. Les noms se suivent, mais parfois les patrimoines demeurent,
au moins pour partie, s’enrichissant même des soubresauts de l’histoire dont
les générations successives s’approprient opportunément le prestige. Et il n’ait,
pour s’en convaincre, qu’à voir les deux effigies des Imans et guides de la
nation, feu Khomeini, et Khamenei, de part et d’autre du palais Ali Qapu.
Mais oublions cela un instant et
profitons de la perspective qui nous est offerte : la plus grande place
fermée du monde, 500 mètres de long sur 250 de large, fabuleuse perspective
avec à l’Est et au Sud ses 2 mosquées aux coupoles émaillées comme des bijoux
précieux, à l’Ouest le Palais Ali Qapu sur 6 étages et ses majestueuses
colonnes de bois centenaires, et au Sud l’entrée vers le bazar sous un portique
ogival ouvragé.
Au milieu de l’esplanade un long
bassin, miroir reflétant ces perspectives hors du commun, agrémenté de jets d’eau
fonctionnant par intermittence qui diffractent la lumière en mille gouttelettes
multicolores magnifiant cet ensemble enchanteur. Tout autour, des dizaines de
boutiques en tous genres – marchands de tapis et de miniatures, quincaillers et
ferblantiers, batteurs de cuivre, vendeur de textiles – échoppes au-dessus
desquelles coure un long balcon donnant sur la place. On en reste coi,
certainement l’effet recherché par ses concepteurs. E j’imagine l’impression
des premiers voyageurs Occidentaux découvrant cet ensemble extraordinaire, à une
époque où aucun doute n’était permis quant à la supériorité supposée des civilisations occidentales, considérant l’Orient comme une « terra incognita »
à évangéliser. Même si, dans l’imaginaire elle recelait sans doute de fabuleux
trésors idéalisés dans des histoires légendaires. Considérer alors que la vraie
richesse était bien d’avantage dans la culture millénaire de ces cultures
que dans leurs biens matériels n’était pas de mise, sauf peut-être pour quelques
orientalistes éclairés appelés aux cours royales Européennes pour conter leurs frissonnantes
aventures.
Nous avions Louis XIV, ils avaient
Charabas le Grand, et il ne fait aucun doute que ce dernier n’avait rien à
envier au Roi Soleil aux vues de ces fabuleux ensembles architecturaux.
Nous montons sur la terrasse du Palais surplombant
la place à son méridien. Partout dans le palais, des artisans s’affairent à
entretenir ce bel ensemble de bois et stucs sculptés et colorés, agrémenté de
remarquables fresques orientales donnant une aperçu précis de la vie des
notables aux différentes époques de son histoire. Ici les compagnons travaillent
comme leurs lointains aïeuls, avec les mêmes outils manuels, les mêmes échafaudages
approximatifs sous lesquels nous passons au mépris de toute précaution
particulière. C’est comme si nous remontions le temps, au contact direct de ces
merveilles. Et je doute fort que leur accès puisse encore se faire de la sorte
bien longtemps.
Depuis la terrasse la vue panoramique
est à couper le souffle, tant elle permet non seulement d’embrasser la place d’un
seul coup d’œil, mais bien au-delà, offrant une large perspective sur les toits
de la cité. Pour les invités de marque l’effet était assuré.
D’ici, on remarque sur l’esplanade 4
poteaux verticaux en pierre de tailles disposés par 2 à quelques mètres l'un de l'autre, de part et d'autre de la place, pile au milieu de la largeur, comme s’il s’agissait de
buts.
-
C’est
exactement cela nous explique Ali. Il s’agissait des embuts du jeu de polo
pratiqué ici jusqu’au début du 20ème siècle.
Surpris je m’étonne qu’un jeu aussi
typique de l’aristocratie Britannique soit arrivé jusque-là.
-
Connais-tu
l’histoire de ce jeu ? Me demande-t-il alors.
-
Euh,
pas vraiment, mais je dirais que ce sport « d’élite » Britannique a
peut-être diffusé jusque-là par leur l’influence coloniale : Indes,
Pakistan puis Iran…
-
Et
bien c’est exactement l’inverse me répond-t-il du tac au tac. Nous sommes les
inventeurs de ce jeu que les Anglais ont découvert au Pakistan voisin, développé
en Inde puis importés sur leur Île.
J’avoue bien humblement mon inculture
et ne peux m’empêcher de sourire au stéréotype dans lequel je suis tombé,
celui-là même qui bien souvent « nous » place encore au centre des civilisations,
alors que cette semaine passée en Iran fut la révélation d’une réalité historique
trop souvent folklorisée ou diabolisée. La vérité est toute
autre, et nous avons pu le constater chaque jour de ce merveilleux voyage.
Mais il n’est évidemment pas question de
tout idéaliser non plus, tant il
reste une ombre au tableau que les 3 filles de cette équipée familale ont particulièrement
vécu tout cette semaine : l’incompréhensible discrimination « des femmes
fantômes », au nom de principes totalement dépassés d’une religion qui se
veut par ailleurs tolérante et bienveillante.
Et tant que cette question ne sera pas
définitivement réglée, subsistera une vraie gène que le charme de l’Orient ne
suffira pas à dissiper.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire