Vendredi matin à Ispahan, le dimanche des Musulmans :
Sous le ciel turquoise la ville
s’éveille dans une ambiance légère. Si la météo n’y est sans doute pas
complètement étrangère, il y a autre chose, la journée hebdomadaire de relâche
qui transforme une ville trépidante en un lieu de détente où il fait bon se
sentir appartenir à la communauté de ses habitants ; ou en être un invité
privilégié.
Et c’est dans cet esprit léger, curieux
de découvrir la belle cité, dernière étape de notre voyage, que notre petite troupe
familiale se met en route.
A proximité de l’hôtel le quartier
Arménien nous accueille. Tandis que nous approchons de l’église nous parviennent
les mélopées d’un lointain muezzine. Inattendu et singulier mélange des genres
qui n’est pas pour me déplaire.
L’église construite au 17ème
siècle a des allures de mosquée. De l’extérieur, seule la croix sur la coupole
permet de faire la différence et, tandis que nous entrons dans l’édifice, le
tintement familier d’une cloche. A l’intérieur le décor baroque et les fresques
dorées figuratives de scènes bibliques racontent la grande histoire de Jésus.
Un mur entier consacré au jugement dernier illustre avec forces détails les
tourments de l’enfer pour ceux qui n’accèderait pas au paradis. Sans aucun
doute à éviter.
Puis nous rejoignons à pied le
centre-ville historique par le pont Khadju (17ème siècle), lieu de
flânerie pour les Ispahanais qui aiment s’y retrouver pour profiter de
l’endroit. C’est un bel ouvrage d’art, avec sa vingtaine d’arches de pierres et
de briques, son ingénieux système de barrage, ses deux niveaux et son petit
palais au milieu. Il y a là toutes sortes de gens – beaucoup d’hommes d’âge mûr
entre eux, écoutant des chanteurs de leur génération déclamer à capella avec
une émotion toute orientale des chants traditionnels – des femmes fantômes,
entre elles, toutes habillées et voilées de noir – et des familles installées
ici pour la journée, étalant leur piquenique sur les jardins bordant la
rivière. Dans ce décors notre famille ne passe pas inaperçue et nombreux sont
les jeunes hommes qui nous abordent gentiment, dans un anglais hésitant mais
sans complexe, pour savoir d’où nous venons et comment nous trouvons l’Iran.
Cet universel besoin de reconnaissance, et plus encore dans un pays millénaire
à un moment si particulier de son histoire.
Puis nous pénétrons dans le
centre-ville historique où les éblouissements vont succéder aux
émerveillements.
Sur la large avenue Chaharbaghe Khaju
bordée de 4 rangées de platanes, l’école
de théologie, dont l’entrée n’est plus permise, mais qu’une contemplation de
l’extérieur suffit à apprécier pleinement : porte monumentale en ogive
ornée de céramiques émeraudes et turquoises, dont la voute laisse descendre de
sublimes stalactites carrées finement ouvragées aux reflets de pierres
précieuses. De chaque côté, sur une longue et sobre façade, les cellules des
étudiants dotées de modestes fenêtres également ogivales donnant sur les
platanes de l’avenue. Au-dessus, et en arrière-plan, le dôme recouvert d’émail
émeraude et ses arabesques jaunes et bleues, véritable joyaux architectural
devant ses 2 minarets fuselés dans les mêmes teintes coordonnées. Difficile de
faire plus remarquable architecture.
L’émerveillement se poursuit dans les
vastes jardins derrière l’école. Même si nous n’y sommes pas à la meilleure
saison pour profiter de ses roses légendaires, la disposition sobre de
l’ensemble nous ravit déjà. De larges allées conduisent naturellement jusqu’à
un joli palais, vaste bâtiment carré aux 4 ailes parfaitement symétriques dont
les fenêtres des étages inférieurs sont ornées de moucharabiés. Murs et
plafonds sont finement ouvragés, ici de mosaïques, là de bois sculptés, peints
et dorés donnant à l’ensemble une impression de luxe quasi contemporain.
Puis nous rejoignons, par un bazar très
animé, la Grande Mosquée du Vendredi, 1000 ans d’histoire persane à elle toute
seule tant sa construction et des aménagements se sont étalées depuis le 8ème
jusqu’au 18ème siècle, pour donner un ensemble probablement unique
au monde, fierté de l’Iran d’aujourd’hui.
Ses deux chabestans, salles de prières
voutées en ogive faites de simple briques jointées, plus basse et lissées de
plâtre blanc pour la salle d’hivers. Ses décorations et inscriptions de stuc
d’une incomparable finesse et qui ont su traverser les siècles. Sa cour immense
et ses spectaculaires portiques aux points cardinaux, décorés de faïences
émeraudes et bleues finement ouvragées de milles arabesques et rosaces posées
sur des briques jaunes. Sous la voute du portique de la façade Est, de
multiples alvéoles en quart d’ogives donnent une impression d’abondance à cet
ensemble monumental. De chaque côté du portique, un minaret s’élance vers le
ciel comme des bougeoirs gigantesques disposés devant une sobre coupole de
briques restées brutes. L’impression d’ensemble est tout simplement saisissante.
Sous l’iwan, de l’autre côté de la grande cour intérieure, des fidèles prient,
le regard aimanté par cette perspective fabuleuse d’une rare puissance esthétique.
Vendredi s’étire doucement. Assis sur
une dalle de pierre tiède nous contemplons ce spectacle sous la lumière
déclinante de fin de journée.
Tout sourire un homme s’approche avec
un plateau chargé de tasses de thé. Sans plus de manière il nous les offre,
histoire de prolonger cet instant de grâce.
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