jeudi 18 février 2016

Tour du Silence



De Yadz nous nous rendons à Chamen, petit village n’abritant plus que quelques âmes. Et même si le gaz de ville a bien été amené jusque-là, habiter une maison traditionnelle en pisé n’est plus du goût de la jeune génération aspirant à la modernité urbaine. Pourtant, quel charme à nos yeux d’Européens nantis. Maisons en terre crue de chaque côté d’une ruelle étroite, avec en perspective les montages aux sommets enneigés sous un ciel indigo. Encore faut-il y vivre tous les jours. Et la plupart des habitants ayant quittés les lieux, un grand nombre de maisons abandonnées fondent littéralement comme des châteaux de sable, retournant à la terre, celle-là même à partir de laquelle elles furent construites.
Traversant le village à pieds, nous ne croisons que quelques petits vieux s’accrochant encore à leur pas de porte. De toute façon, où pourraient-il bien aller maintenant ?
A l’autre bout du hameau, en perspective, à quelques kilomètres, une colline surmontée d’une large tour, comme une couronne posée sur un crâne. Ali nous propose de nous y rendre à pied, ce que nous acceptons avec grand plaisir, au grand air frais sous un ciel radieux. Tout en approchant nous bavardons sans réel fil conducteur, profitant de ce temps privilégié en famille aux antipodes de nos repères habituels.
Approchant de la colline, à sa base quelques constructions se meurent. De quoi peut-il bien s’agir ?
Ali explique qu’il s’agissait d’un lieu de résidence éphémère réservé aux familles venant ici pour les funérailles de leurs défunts. Piquant notre curiosité, nous le questionnons sur les conditions des dites funérailles.
-       Vous voyez la tour massive au sommet de la colline derrière vous ? Et bien c’est ici que cela se passait ? Mais depuis les années 50, ce n’est plus possible.
-       Et pourquoi ?
-       Par ce que le rite funéraire traditionnel des Zorastriens a été interdit par les autorités pour raisons sanitaires.
Piqués au vif nous poursuivons notre questionnement pour en savoir d’avantage.
-       Et bien vous devez savoir que le rite en question consistait à exposer les morts aux vautours, qui se chargeaient de dépecer les corps dont on ne récupérait que les os qui étaient jetés dans une fosse commune au milieu de la Tour du Silence que vous avez devant vous.
Dubitatif, les yeux rivés sur la tour, impossible de ne pas faire le parallèle avec les « Funérailles Célestes » toujours pratiquées au Tibet et que nous avions « découvertes » lors de notre voyage là-bas. (Voir chronique sous ce titre datée d’aout 2010). Et se dire que décidément des hommes d’origines et cultures si différentes étaient arrivés à une conclusion similaire de leur passage vers l’au-delà. Plus qu’une étrange et magnifique coïncidence : s'élever littéralement plutôt que croupir en terre.
-       Vous pouvez monter voir si vous voulez, ajoute Ali.
Sans se faire prier nous gravissons rapidement la colline, puis le mur d’enceinte de la tour pour nous retrouver sur une vaste plateforme ronde dominant le grandiose paysage alentour. Au sol des grandes pierres plates. Tout autour un muret à mi-hauteur. Au milieu la fosse commune des ossements également circulaire. 

Et nous sommes là, silencieux, émus par ce lieu et ce moment uniques qui à eux seuls méritent le voyage.


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