samedi 30 janvier 2016

Chère Liberté d'expression



8h30 du matin, l’heure de pointe devant les ascenseurs de l’hôtel Marriott Marquis d’Atlanta. Quelques minutes d’attente les yeux rivés sur les numéros d’étages s’affichant au-dessus des portes coulissantes. Un « dong » presque solennel prévient de l’arrivée d’une cabine dans laquelle je m’engouffre aussitôt. Déjà 5 ou 6 personnes, les cheveux encore mouillés, descendent pour le petit déjeuner dans des effluves d’eau de toilette un peu entêtante.
Et tandis que la porte se referme, on échange quelques bonjours. 
Je souris en lorgnant sur la rangée de boutons allumés à presque tous les étages. On n’est pas arrivé. 
Pour faire patienter, un petit écran diffuse en continu des flashs d’informations ponctués de spots publicitaires. Après la météo du jour, une brève où l’on voit le tribun Donald Trump s’exciter lors d’une convention Républicaine. Tous les regards se tournent alors vers l’écran, fascinés par cet étrange personnage étonnamment coiffé, comme sortie d’un feuilleton Américain des années 80. En descendant les étages la cabine continue à se remplir jusqu’à saturation. Et maintenant à chaque arrêt les expressions de déceptions des gens attendant  à l’ouverture de la porte.
Nous poursuivons notre voyage, accompagnés de Donald Trump. J’en souris, comme d'ailleurs quelques personnes, tandis que d’autres acquiescent aux propos simplistes de candidat par des « yeah » à peine retenus. Il est question d’immigration, de sécurité, de fierté de l’Amérique en des termes d’une consternante naïveté démagogique.
Une petite dame chic typée d’Amérique Latine, peut-être mexicaine, lâche un « quelle honte ! » des plus audibles. Tous les regards se retournent sur elle, jusqu’à l’écraser.
« Mais il ne dit que la vérité » répond un solide Américain, tout en lui demandant son prénom (Lisa), avant qu’un autre ne modère le propos en affirmant que jamais il ne pourrait voter pour un tel énergumène.
Egrenant les étages, notre descente se poursuit tranquillement, tandis que la conversation s’anime dans une bonne humeur dont seuls les américains ont le secret. Lisa ne s’en laissant pas compter, et le solide « redneck » non plus (Gary), soutiennent l'échange, créant de facto deux groupes de supporters avec les autres « passagers » qui se mêlent alors progressivement au débat. Je me permets d’entrer dans le jeu, ajoutant que vu de mes yeux de Français, il faisait d’avantage penser à un extravagant showman qu’à un homme politique crédible, ce qui fait sourire notre petite assemblée, et donne l’occasion à mon voisin de me demander mon prénom que je lui donne volontiers. Et d’ajouter que je ne comprenais pas comment un type pareil avait bien pu faire fortune. « American Dream !» me répond-on en cœur. En m’expliquant que c’est justement de là qu’il tient sa légitimité. Et sur ce point tout le monde était parfaitement d’accord semble-t-il.
Un instant j'essaie d’imaginer le même type de situation chez nous : une dizaines de personnes ne se connaissant pas quelques minutes auparavant, débattant maintenant passionnément de politique dans un ascenseur en s’appelant par leurs prénoms. Chacun écoutant et parlant à tour de rôle, exposant sans aucune gêne apparente des opinions très divergentes, tout en respectant les autres points de vu, illustration parfaite de la liberté individuelle parfaitement assumée et respectée ici.
 
Nous rejoignons finalement le « lobby level ». Les portes s’ouvrent et la cabine se vide en un instant. Dans la bonne humeur on se souhaite la bonne journée, heureux d’avoir pu la démarrer par un échange spontané et désintéressé, en toute liberté.
Et force est de reconnaître que de ce point de vu, l’Amérique reste un pays à nul autre pareil.




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