L’ascension du Mont Ventoux à vélo a quelque
chose du parcours initiatique ou du pèlerinage, suivant qu’on le fasse pour la
première fois où, comme moi, qu’on y revienne.
Le concept de parcours initiatique
s’entend bien lorsqu’il s’agit de découvrir le lieu pour s’y confronter. Et en
l’espèce le Mont Ventoux est de ces endroits devenus légendaires : majesté
de cette montagne blanche et pelée dominant le Lubéron de ses quelques 2000
mètres où hommes et machines ont d’abord défiés la nature avant de s’affronter
dans des joutes sportives spectaculaires – courses automobiles d’abord,
histoire de démontrer la puissance mécaniques face à la nature – courses
cyclistes sur un chemin devenu plus tard une route mal pavée jusqu’au milieu du
siècle dernier. Puis bien sûr le Tour de France et ses épopées épiques
ponctuées de drames humains.
Et même s’il faut bien admettre qu’il existe
des dizaines d’autres montagnes autrement plus belles, ce lieu chargé
d’histoire exerce souvent un irrésistible magnétisme sur les sportifs en quête
de défi. Car gravir le Ventoux en vélo est peut-être au cycliste ce que le
marathon est au jogger : plus de 20 km de grimpette autour de 10% sur 1700 m de dénivelé jusqu’à 2000 m d’altitude. Cela marque
l’organisme, mais surtout laisse des traces indélébiles dans la mémoire du
sportif qui s’y est confronté, au point de l’y pousser de nouveau, histoire de
revivre ces sensations rares du dépassement personnel ; mais sans doute
pas que ça…
Au départ de Bédouin nous sommes des
dizaines à parquer nos voitures et sortir les vélos des coffres des breaks et
autres SUV. C’est la belle heure matinale, quand les rayons du soleil d’été
distillent une chaleur encore agréable avant que le feu de la mi-journée n’enivre les cigales dans leur mélopée entêtante.
Ça démarre doucement, au point de
donner l’illusion de la facilité, confortablement installé sur la bicyclette
bichonnée pour l’occasion. Et nombreux sont ceux qui partent alors trop vite.
Puis l’on rejoint l’agréable foret
ombragée où les choses sérieuses commencent avec des rampes à 10% et plus. Et
tandis que certains s’effondrent déjà en ne pédalant plus qu’avec difficulté
tout en zigzagant dangereusement, le doute s’installe, à mi-parcours, où l’on
se demande si ce n’est pas ce qui nous guette aussi dans quelques kilomètre.
Alors on s’accroche à sa volonté. Ne pas faiblir, rester concentrer sur la
gestion de ce seul effort en se stimulant par des images positives dont celle
de « la victoire précédente », du plaisir indicible d’y être arrivé
et du flot d’émotions associées.
Se dire aussi que 2 petites heures
d’effort ne sont rien en comparaison des épreuves que la vie nous réserve
parfois, et que justement elles permettent d’éprouver ses propres limites
dans l’adversité. Car ici le « succès » ne dépend que de soi et de soi
seul. Alors il s’agit de s’accrocher, km après km.
Sur la route des centaines d’encouragements
multicolores peints à l’intention des champions du Tour de France passés par là
quelques jours plus tôt, à des vitesses supersoniques dont on a du mal à croire
qu’elles puissent être naturelles, tant mon compteur ne décolle pas des 11-12
km/h. Mais pour eux c’est un métier…
Plus que 5 km. Le sommet est en vue et
les endorphines aidant, arrive la plaisir, celui enregistré de manière
indélébile par le cerveau lors de la fois précédente.
Le dernier km est un moment d’extase
absolu, porté par une sorte d’euphorie où la douleur disparait au profit d’un
étrange bien-être, subtil cocktail de sensations difficilement descriptibles,
comme un puissant orgasme où le corps et l’esprit ne font plus qu’un, avec ce
sentiment de flotter dans une autre dimension.
Tout ça pour ça, qui ne tiendrait sans doute qu’à la sécrétion de petites molécules addictives de plaisir.
On est peu de chose.
On est peu de chose.
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