vendredi 2 avril 2010

L'autre Amérique

La terre est ronde, mais assez curieusement, plutôt que de tourner autour, la plupart des grands voyageurs la parcourt à la manière des abeilles, traçant de grands arcs depuis leur (aéro) port d’attache, pour y revenir sans cesse. Je n’échappe pas à la règle, ancré à ma famille, mes amis, ma campagne, mes racines : absolue nécessité de se ressourcer entre ces déplacements au long-cours.

Paris – Sao Paulo, presque 12h de vol à contre temps, contre le vent aussi. Le liner glisse dans de puissants contre courants d’air à la limite stratosphérique, lieu unique où le ciel semble comme inversé : loin en dessous la couche nuageuse telle que nous la voyons parfois depuis le sol ; au dessus la frontière de l’Espace d’un bleu profond, de ceux qu’il est parfois possible de respirer au sommet des montagnes et dont les molécules amicales protègent la vie sur notre petite planète.

Sao Paulo, mégalopole de 16 millions d’habitants étouffée sur une bulle de gaz carbonique dont on aperçoit en approche le halo d’un gris presque orangé. Au terme d’une descente sous forte pente, atterrissage spectaculaire sur le petit aéroport enclavé au cœur de la ville, les ailes de l’appareil léchant les immeubles en passant à 30 mètres seulement des dernières constructions avant que les roues ne touchent le tarmac.
Ici l’air est « irrespirable » et le trafic insupportable. Deux heures pour parcourir les quelques kilomètres depuis l’aéroport jusqu’à notre rendez-vous en périphérie, sous le balais de « choopers », ces dizaines d’hélicoptères utilisés par les privilégiés sautant en quelques minutes d’une plateforme d’atterrissage à l’autre installées aux sommets des immeubles des quartiers d’affaire.
Dans les rues, les fenêtres des maisons sont affublées de solides grilles de protections, quand ce n’est pas carrément une enceinte électrifiée qui protège les résidences des mieux lotis contre la délinquance urbaine de bandes de jeunes désœuvrés.
Au détour d’un autopont les premières favelas, « maisons » faites de bric et de broc devant lesquelles des p’tits gars fabriquent des niches à chien à partir de palettes de récupération….
C’est ici l’automne, et sans cette pollution le fond de l’air serait assez agréable.

Vol de nuit vers Brasilia à travers ce pays-continent où l’avion reste le meilleur moyen de transport.

Brasilia : depuis ma première visite je suis fasciné par cette ville construite de toutes pièces dans les années 60 au cœur du pays, fruit d’une volonté politique de désenclavement de cet immense territoire.
Pour ceux qui comme moi aiment l’architecture contemporaine, Brasilia est un enchantement : de larges avenues bordées de bâtiments au design innovants, typiques des sixties, où l’on découvrait les incroyables possibilités plastiques offertes par le béton armé. Par pur plaisir je me lève tôt, simplement pour aller courir au petit matin dans cette ville unique où j’ai comme l’impression d’entrer dans un album photo des réalisations architecturales de Marcel Baeur ou Le Corbusier.
Tout a été imaginé et réalisé de manière globale suivant les meilleurs standard rationnel et esthétique de l’époque : églises aux courbes élancées, bâtiments administratifs aux alignements géométriques parfaits, autoponts d’une infinie légèreté, squares agrémentés de sculptures contemporaines ou les couleurs primaires se marient parfaitement au gris brut ou blanc du béton peint.
Notre hôtel est lui aussi dans le plus pur style de l’époque. Rien de spectaculaire à l’extérieur, mais l’intérieur agrémenté de meubles en formica est très vintage.

Nous filons vers Luziana, une 60aine de kilomètres vers le Nord-est où se trouvent nos installations toutes neuves. Après un démarrage hésitant au creux de la grande économique crise de l’an dernier, les perspectives de l’entreprise sont maintenant prometteuses.
Accueil très chaleureux de notre équipe, à la Brésilienne : à 10 000 kilomètres et dans un autre hémisphère, entre latins nous nous « reconnaissons » et, malgré la barrière de la langue nous comprenons facilement : un sourire, un geste, un regard, une tape sur l’épaule, le courant passe simplement, spontanément. Je crois que je pourrais habiter ici.

Retour à San Paulo où je dois répondre à une journaliste du quotidien « Valor », équivalent local de « Les Echos » chez nous. Moment agréable avec Alba, une jeune femme francophile charmante dans un bar branché de la ville où l’on sert les meilleurs crus de café d’Amérique Latine. L’interview se passe dans un surprenant mélange d’anglais et de français, aidé par Minuro le dirigeant d’origine Japonaise de notre filiale locale faisant le lien en Portugais…
….
La semaine se termine déjà sur les chapeaux de roue, entre les derniers rendez-vous à assurer et le « home work » des soirées d’hôtel, au rythme du flux continu des emails et de quelques dossiers prioritaires à faire avancer. Trop dur ? Non, trop bien de continuer à parcourir le monde avec ce sentiment valorisant de construire quelque chose d’utile.

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