jeudi 11 mars 2010

Partie de Go


Situation désagréable mais somme toute « banale » dans les affaires : aller chercher une créance impayée. Et lorsque cela se passe en Chine, au fin fond de la province du Hubei, cela peut prendre une allure inattendue pour un « long nez », malgré déjà plus d’une cinquantaine de voyages à parcourir l’empire du milieu, avec des fortunes diverses.

Il s’agissait donc ici d’aller chercher les sous chez Monsieur Lee : 2 heures d’avion depuis Chengdu vers Wuhan, puis 3 heures de voiture jusqu’à ..., l’une des rares villes chinoises où le téléphone mobile étranger de marche pas.

Arrivée fourbue dans un hôtel crasseux offert par le client. Une maison de passe en fait, avec tous les équipements nécessaires... Nous sommes accueillis par le beau frère de Lee, jeune homme avenant qui souhaite s’entretenir avec nous avant que peut-être ce soir nous rencontrions Lee. Nous jouons le jeu et l’écoutons nous raconter combien Lee est désolé de n’avoir pas tenu son engagement, qu’il regrette infiniment, mais que son financement n’a pas pu se boucler comme il voulait et que surement ça allait s’arranger.
De mèche avec Shuchen je montre avec calme mon mécontentement, mais sans éclat. Juste avec détermination avant de quitter la chambre.

Une heure plus tard on frappe à ma porte. C’est Shuchen qui m’annonce l’arrivée de M. Lee. En fait il est là depuis déjà une demi-heure et a demandé à Shuchen un délai supplémentaire d'un mois pour le paiement. Puis Shuchen de me dire :
- Tout d’abord tu refuses poliment.
Et d’ajouter :
- Tu lui expliques ensuite que s’il ne veut pas payer immediatement, nous serons au regret d’en informer le Gouverneur de la Province via le consulat de France.
- Et alors ?
- Et alors il va comprendre clairement le message.
- Quel message ?
- Et bien ses amis politiques pourvoyeurs de fonds vont être mis à mal par une telle intervention « diplomatique » risquant de les griller. Et ça il ne peut en être question. Tu comprends ?
- Euh, oui je crois. Et tu crois que ça va marcher ?
- Pas sûr, mais essayons.

Fort de ces bons conseils je m’en vais donc saluer froidement Monsieur Lee.
De nouveau il s’excuse en reprenant les arguments du beau frère et m’invite à m’assoir. Je reste debout. Il se lève en réitérant sa demande de délai supplémentaire que je refuse fermement sur le champ. Ce à quoi il répond qu’il ne peut pas payer dans l’immédiat. Je lui rappelle alors que l’immédiat à déjà 2 mois et demi de retard !
Shuchen qui assure la traduction, je devrais plutôt dire l’interprétariat, adopte la mine de circonstance des mauvais jours…
Sur ce nous partons dîner dans une salle privative du restaurant au 5ème étage de l’hôtel.
La discussion reprend où elle en était restée.
Je sorts alors la carte « diplomatique ».
Mal à l’aise Lee fume cigarette sur cigarette en expliquant qu’en procédant de la sorte nous ne récupérerions rien du tout, car lui perdrait le support de ses sponsors politiques qui en perdant la face le lâcherait à coup sûr.
Il a parfaitement raison. Mais notre tactique consiste justement à ce qu’il remonte lui-même auprès de ses sponsors, pour les convaincre de le soutenir sans plus de délai, avant qu’une malheureuse intervention diplomatique fomentée par un Français ne risque de les éclabousser.
L’atmosphère devient franchement pesante, et avec la fumé, l’air confiné de la petite salle devient vite irrespirable…
Lee revient à la charge pour obtenir un décalage le paiement. Bien sûr nous accepterons car il ne peut en être autrement ; mais pas ce soir.
Sur ces entrefaites Shuchen a pu échanger par téléphone avec le chef de cabinet du Gouverneur, et un déjeuner est à priori organisé pour le lendemain.
Nous en informons Lee qui demande alors la présence d’une interprète pour communiquer directement avec moi. Migraine naissante je refuse catégoriquement et quitte la salle respirer un peu d’air frais dans le couloir. Le dîner se termine en queue de poisson, et tandis que je me retourne à ma chambre, j’aperçois Shuchen entrer dans la sienne accompagné de nos 2 acolytes.



On frappe à ma porte. Il est 8 heures du matin et Shuchen passe me prendre pour le petit déjeuner. Mauvais début de journée. J’ai loupé le réveil, donc mon jogging matinal et j’ai la tête encore enfumée d’hier soir.
Le petit dej est à l’image de l’hôtel : crasseux.
Shuchen m’explique qu’il va préparer un mémo acceptant le délai supplémentaire d’un mois que nous allons faire signer dans la matinée par Lee avant la rencontre avec le Gouverneur. Là j’avoue n’être plus sûr de tout bien comprendre, mais je fais confiance.
Nous remontons à nos chambres, Shuchen pour rédiger le mémo et moi faire mon travail de bureau.
Il est 10h30 lorsqu’on frappe de nouveau à ma porte.
Shuchen m’annonce que le mémo est près et que Lee est dans sa chambre pour la signature.
En entrant dans le chambre dont l’atmosphère enfumée est déjà irrespirable, je me précipite ostensiblement ouvrir la fenêtre en dévisageant Lee.
Sans coup férir Shuchen m’annonce alors que le déjeuner avec le Gouverneur est annulé et, avant que je n’ai pu réellement réagir, me demande de feindre une colère froide devant Lee. Je n’ai pas à me forcer, répétant en regardant Lee fixement que nous allons devoir sortir l’artillerie diplomatique vaille que vaille.
Il est blême, ayant très bien compris que nous ne plaisantons pas. (Shuchen me confiera plus tard qu’il passe alors un coup de fil à quelqu’un en dialecte local dont il a capté des bribes, exprimant son désarroi devant le risque de gêner ses amis politiques.) La pression monte. Je quitte de nouveau la chambre dépité laissant mon Shuchen poursuivre la partie.

Vers midi Shuchen refrappe à ma porte. Nous partons déjeuner rapidement à l’extérieur. Dans la voiture Shuchen me demande de préparer au restaurant une lettre manuscrite en Anglais à l’attention de Monsieur Zang, Gouverneur de la Province, à faire remettre en main propre par Lee... J’en pers mon latin et essaie de comprendre les subtilités. En fait nous sommes en train de changer de registre : après avoir brandi l’arme nucléaire diplomatique, nous redonnons de la face à tous les protagonistes pour relancer la dynamique de sponsoring dont chacun comprends bien maintenant les avantages. Génial.
Me voilà donc assis au coin (d’une table ronde) à sortir ma plus belle plume :

« Dear M. Zang,

I would like to inform you concerning the progress of our partnership with M. Lee for the the duck project in ...
Even if we still have the firm intention to develop this partnership, it seems that our Chinese partner is facing some difficulties, and we hope that you would support him as much as possible. Etc. Etc. »

L’effet attendu est que chacun comprenant bien ses intérêts, les fonds espérés arrivent promptement sur le compte de Lee avant d’être crédité sur le nôtre.
Réponse dans un mois.

(Si l’histroire est parfaitement exacte, notez bien que les noms de nos interlocuteurs sont factices pour les raisons évidentes que vous pouvez imaginer)

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