Le bateau quitte le port de Tanger dans un souffle grave.
Au son des sirènes, les amarres se détendent, l’eau s’ouvre entre la coque et le quai.
Dans le sillage du navire, l’Afrique s’éloigne, chargée de chaleur et de visages. Et déjà le continent s’efface.
Face à nous, l’Europe. Si proche qu’on la devine.
Entre les deux, ce mince ruban océanique, passage symbolique entre deux mondes, deux tempos, deux respirations.
Fort d’un supplément d’âme africain, on quitte l’improvisation du quotidien, cette liberté brute où chaque geste compte, et l’on se prépare à retrouver nos repères : la ligne droite des trottoirs, la ponctualité des horloges, la tiédeur rassurante de ce que l’on appelle “normalité”.
Quand les roues du pick-up touchent le sol andalou, c’est comme un atterrissage en douceur après une long vol.
L’air est plus frais, les couleurs plus sages. On sent l’ordre revenir, avec lui une certaine distance au monde.
Nous gagnons une hacienda blanche et silencieuse, perdue au milieu des oliviers.
Une cour intérieure, des murs chaulés, des plantes grasses qui retiennent la lumière.
Le calme après la poussière. L’endroit semble hors du temps.
Les tableaux jaunis fixent des scènes d’un autre siècle, les meubles cirés craquent comme pour rappeler leur âge. Et dans ce décor un peu rococo, il y a quelque chose d’étrangement familier. Peut-être le souvenir d’enfant d’un Zorro de sieste d’été, d’un monde de capes et d’ombres. On se sent à la fois étranger et chez soi, comme si la route, avait fini par créer un autre type d’habitude : celle d’être toujours un peu ailleurs.
L’entrecôte est trop cuite, mais le vin a le goût du repos.
Autour de la table on se refait le film : la piste qui se perd dans le sable, la chaleur du vent, les regards croisés dans les marchés, la nuit dans le désert.
Tout cela semble déjà loin, et pourtant brûle encore.
Dehors, le pick-up se repose.
Il porte les traces du voyage comme des blessures de guerre. C’est curieux comme on s’attache à ces autos. Comme le navigateur à son bateau. Ils deviennent un peu un prolongement de soi. On le ramène à la maison, on le réparera, on l’améliorera, et on repartira un jour.



1 commentaire:
Bon retour.
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