23 heures,
l'heure où l'éclairage public de mon village s'éteint pour laisser place à la
nuit noire. D'aucuns diront que ce n'est qu'un moyen parmi d'autres de faire
quelques économies. Certes, mais il s'agit aussi de bien d'autre chose : permettre
à chacun de (re)découvrir le ciel étoilé.
Il est
donc l'heure de monter à l'observatoire astronomique, coupole blanche sur pilotis
que j'ai fait construire au milieu du jardin pour y installer mon nouveau
télescope Schmit-Cassegrain, récemment acquis d'occasion à un retraité comme
moi passionné d'étoiles qui, après des années d'observations et de photographies,
a décidé de passer à autre chose. Et je ne cache pas mon excitation à l'idée de
mettre l'œil à l'oculaire de cette merveilleuse machine à remonter le temps. Imaginez
un peu : l'image du ciel nous arrive à la vitesse de la lumière
(300 000 km par seconde). Si cela peut sembler de prime abord super rapide,
c'est en réalité très lent à l'échelle de l'univers. En effet, la lumière
d'étoiles lointaines qui nous parvient aujourd'hui a, pour certaines, été émise
il y a des milliers, des millions, voire des milliards d'années. Regarder loin
c'est donc regarder tôt, et ainsi observer l'univers tel qu'il était à l’époque
où les photons ont commencé leur long voyage, et non pas tel qu’il est au moment même de
l'observation. Car la lumière ne nous est tout simplement pas encore parvenue. Vertigineuse perspective de l'espace-temps.
Impatient
je gravis donc l'escalier jusqu'à la plateforme où est installée la coupole
abritant le télescope. Ouvrir la porte est comme entrer dans une capsule
spatiale, bulle de 3 mètres de diamètre au milieu de laquelle, tel l’œil du
cyclope, trône l'instrument de 350 mm d'ouverture, miroir captant 3400 fois
plus de lumière que la rétine de l'œil humain.
Refermant
la porte, j'allume les leds rouges permettant d'éclairer l'espace sans perdre
la vision de nuit, selon le même principe que dans les labos photo à l'époque
de l'argentique où il ne fallait pas impressionner la pellicule au moment du développement,
puis ouvre le cimier, trappe verticale en quart de cercle sur 90°, pour
découvrir le ciel scintillant d'une belle nuit de juillet.
Barrée par
la lueur diaphane de la voie lactée, la voute céleste étincelle des milles feux
des constellations d'été. Au zénith la Lyre puis le Cygne majestueux déployant
ses ailes. Vers le sud le Sagittaire, zone la plus riche de notre ciel
australe. J'en ai la chair de poule.
Quelques
réglages préalables sont nécessaires sur le télescope donc c'est la première
mise en position ici : alignement sur le nord, initialisation du GPS, calcul du
plan horizontal et pointage de 2 étoiles. Enfin la raquette de contrôle
électronique indique "ready".
Par où commencer
le voyage ? Il y tant à voir.
Au sud-ouest Saturne est encore visible. Je pointe et mets l'œil à l'oculaire. Petite mise
au point pour qu'elle apparaisse nette dans toute sa splendeur : globe
orangé strié de discrètes bandes nuageuses, entouré des fameux anneaux comme un
disque microsillons. De part et d'autre de la planète, ses satellites comme
dans une danse cosmique. Impressionnant et magique à la
fois que de plonger en un instant au cœur du système solaire, notre proche
banlieue à l'échelle universelle.
Tandis
qu'un léger voile nuageux arrive par l'ouest, je vise l'amas globulaire M22
dans le Sagittaire. Des milliers d'étoiles s'y concentrent en une vertigineuse
perspective gravitationnelle où l'on se sent comme aspiré. Absolument
saisissant !
La ballade
céleste se poursuit vers quelques nébuleuses de saison : la Lagune et sa plage
évanescente, la Trifide striée de noir nuages carbonés, et le Cygne (à ne pas
confondre avec la constellation du même nom) comme la parfaite représentation
en clair-obscur le l'élégant oiseau sur un improbable lac céleste. Magique et
exaltant à la fois que d'assister à ces spectaculaires phénomènes agitant le
cosmos, poussières d'étoiles en réactions physicochimiques à l'origine de tout
ce qui nous entoure.
Les heures
s'égrainent. Déjà 3 heures du matin et
mes yeux commencent à fatiguer. Mais je suis comblé, certain d'avoir créé un
endroit peu ordinaire simplement dédié à la contemplation de la nature en Grand.
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