11 000 mètres d’altitudes. De retour de Bangkok le triple 7 d’Air-France file à 900 km/h vers Paris. Après la verticale de Samarcande nous survolons le désert du Turkménistan, vaguelettes dorées sous un ciel indigo, presque noir au zénith. La nature d’une beauté pure depuis le hublot de l’appareil. Retour au calme après quelques jours de salon professionnel dans un contexte géopolitique totalement déstabilisé par les positions de Trump après sa prise de pouvoir.
On a évidemment parlé business durant ces 3 jours, car nous devons bien continuer à faire tourner nos entreprises. Mais nous avons aussi beaucoup échangé sur ce qui ressemble à un basculement du monde aux perspectives vertigineuses.
La déclaration percutante du sénateur Claude Malhuret tourne en boucle, sous-titrée, sur les chaines d’informations du monde entier, qualifiant l’administration de Washington de « cour de Néron et son bouffon piqué à la Kétamine ». A mots acérés il dénonce la traitrise d’un pouvoir populiste quant aux valeurs fondamentales de nos démocraties occidentales, et le lâchage en rase campagne de l’Ukraine, au dépend (faudrait-il plutôt dire au profit ?) d’un alignement sur la position agressive de Poutine. Inexplicable autrement que par un chantage de la Russie sur Trump. Comme s’il était tenu par on ne sait quel secret inavouable le contraignant à des positions irrationnelles pour la seule préservation de ses intérêts personnels… Mais loin de moi toute théorie du complot.
Heureusement l’Europe – grâce au leadership de notre Président, ce n’est pas moi qui le dis, même si je le pense aussi, mais les observateurs étrangers – semble réagir en faisant bloc.
Et si cette accélération de l’histoire était le point d’inflexion du début de la décadence américaine ?
Au début de années 2000 la zone Asie-Pacifique était en plein boom économique. Certains, dont je suis, imaginaient que ce dynamisme prendrait le leadership sur la puissance américaine. Mais il n’y en a rien été, les Etats-Unis ayant rebondit, et de quelle manière – économie numérique, réseaux-sociaux, mobilité électrique, spatial, IA – grâce aux GAFAM qui ont écrasé le match.
Alors comment expliquer l’arrivée au pouvoir de pareils escrocs populistes dans une économie apparemment prospère ?
Peut-être parce qu’elle ne l’est pas tant, ayant créé des telles inégalités devenues irréconciliables. Sans aucun doute l’une des origines de la fracture sociale ayant porté Trump et ses acolytes au pouvoir. Fracture sociale également attisée par les effets délétères de réseaux sociaux aux algorithmes puissants, manipulant informations et individus.
Les images de l’intronisation de Trump furent glaçantes. Dignes des actualités Gaumont dans les années 30, avec la montée des fascines en Europe : Trump entouré de sa clique, haranguant la foule à grands coups d’allégations mensongères, brutales, menton en avant, doigt pointé et mèche blonde plaquée, devant un parterre de grands patrons faisant allégeances. Glaçant !
Pourtant personne ne réagit, comme fasciné par la « magie », non seulement de l’instant, mais par tout le scénario de cette prise de pouvoir. Passée la sidération il y eu bien sûr les quelques silences gênés que la diplomatie impose. Mais comment ne pas féliciter le nouveau leader du « monde libre » ? Lui donnant par là-même le blanc-seing d’exonération de toute retenue qu’il s’empresse de jouer quotidiennement sur les droits de douanes, la menace d’annexion de territoires souverains, l’arrêt de soutien aux ONG, le démantèlement des services publiques, et j’en passe.
Même si leur silence est encore assourdissant, gageons que les Américains ne vont pas pouvoir supporter cela bien longtemps. A moins d’accepter cette fois d’entrer dans une inexorable phase de déclin.
En attendant, nous les Européens avons une occasion unique de rebondir sur une nouvelle dynamique collective. Forts de nos valeurs démocratiques, notre diversité, nos cultures, notre capacité d’innovation, notre économie puissante, nos marchés solvables…
Seulement il ne faut ni trainer, ni mollir. Trump renforce Poutine au centre de l’échiquier mondial. Il est certain que si nous ne régissons pas fermement il ne s’arrêtera pas là. Comment le pourrait-il ? Toute son économie est maintenant calibrée pour la guerre. Il faudra bien amortir l’investissement…
Et pendant ce temps les Chinois observent, développent une armée puissante et se préparent à annexer Taïwan. Ce à quoi personne ne répondra au nom du principe des zones d’influence et de la grande fresque historique.
De tout cela il a aussi été question cette semaine à Bangkok. Echanges entre gens ordinaires conscients du moment extraordinaire.
Derrière le hublot, les rives irisées de la Caspienne se diluent dans une mer émeraude. L’avion file dans l’azur, loin du tumulte de la folie des Hommes.