jeudi 13 novembre 2014

Monserrat



Au détour d'un virage l'horizon se dégage furtivement vers le sud sur un spectaculaire massif rocheux dentelé, étonnante formation géologique aux allures de flèches de cathédrale, avant de disparaitre aussitôt derrière un rideau d'arbres. Etait-ce un mirage ? Puis la piste redescend sur des plaques rocheuses luisantes comme des pavés, en surplomb d'un ruisseau formant des vasques à l'eau turquoise.
Sous le soleil d'automne, la forêt prend ses chaudes couleurs de saison, exhalant des fragrances de champignon et de bois humide.
Devant moi, mon camarade s'en donne à cœur joie, profitant de la moindre occasion pour donner le coup de gaz qui relance la moto en une légère glissade de la roue arrière dont le pneu tout terrain projette terre et graviers. Nous sommes dans le même rythme mais avec des styles différents : Didier plus agressif, plus coulé pour moi.
A l'accélération le battement rauque du gros monocylindre de la Ténéré envahit l'espace comme des coups de fusils, à faire fuir le plus téméraire des sangliers. Quelques flaques d'eau agrémentent la piste, se transformant en gerbes étincelantes au passage des motos, avant que l'eau ne reflue dans sa position initiale. Dans cet environnement chaotique les suspensions à grand débattement font merveille, absorbant tout en souplesse les aspérités du terrain.
Nous redescendons dans la vallée. Quitter alors la piste pour retrouver l'asphalte procure toujours la même impression soudaine de douceur : rouler, presque glisser, comme sur un billard ; répit pour la machine et le pilote.
Cette fois-ci l’horizon se dégage complément sur le massif rocheux entraperçu un peu plus tôt et vers lequel nous-nous dirigeons, Monserrat.
Comme toujours, les montagnes apparemment si proches, semblent fuir quand on cherche à les atteindre. Mais la route est plaisante, succession de virages agréables jusqu’à la montée finale en épingles à cheveux taillées dans la roche.
L’arrivée au sommet est spectaculaire : parkings et esplanades bondés (nous sommes samedi), sous le monastère et les lieux de cultes surplombés par des flèches de cathédrales naturelles taillées par l’érosion millénaire de ces roches granitiques aux formes adoucies. En se retournant, la vue sur la vallée plonge le regard à des dizaines de kilomètres, belvédère d’où l’on apprécie tel un Dieu l’activité humaine : villes et villages comme posés sur des terres agricoles où les champs semblent avoir été parfaitement disposés pour structurer le paysage, la Terre de Hommes chère à Saint Ex' le Grand. 
Rien d’étonnant que ce lieux unique, à l’origine de bien belles légendes, ait subjugué les hommes au point d’être devenu un des hauts lieux de culte de la chrétienté.


lundi 10 novembre 2014

Une batterie pour deux



Rien de tel qu'une échappée belle à moto pour réguler la pression du quotidien. Cette fois-ci ce sera Collioure-Barcelone par les pistes.
On part un peu à l'arrache avec deux motos de légende : une Honda Africa Twin qui a fait le tour du monde et une vénérable Yamaha Ténéré 1988 transsaharienne ; de quoi s'amuser sans arrière-pensée.
- Au fait, t'as pensé aux câbles de batterie ?
- Tu crois ? On ne va pas en avoir besoin...
- J'les prends, on n'sait jamais.
Casque, blouson, paire de bottes enduro, sac étanche sur le porte bagage et c'est tout. L'escapade n'est que de 3 jours et l'approche se fait en voiture jusqu'à Collioure.
Météo superbe ce matin. Tout sourire nous déchargeons les motos de la remorque, impatients d'en découdre. Je mets le contact de la Ténéré pour démarrer et rien ne se passe... Et m... Batterie à plat. J'avais des doutes en partant et l'avais pourtant rechargée. Ça n'a visiblement pas suffit. Bizarre tout de même. Heureusement nous avons les câbles qui vont bien et démarrons sur la batterie de l'autre moto.
Tous pleins faits, c'est parti !

La moto tout terrain est à l'homme moderne ce que devait être le cheval pour nos aïeuls : le moyen de déplacement par excellence, symbole de liberté et sans doute aussi de virilité, celui que l'on enfourche, comme un prolongement de son propre corps et qui distille des sensations comme peu d'autres pareilles...
Nous sortons de la route pour attaquer les pistes de montagne. Debout sur les cales pieds, la moto se pilote à la poignée de gaz. Une fois la roue avant placée sur la bonne trajectoire, il n'a plus qu'à doser l'accélération, exquise sensation de glisse, proche de celle du ski lorsqu'on slalome entre les sapins.
Sortant d'une zone forestière, l'horizon se dégage et nous découvrons sur notre droite la ligne de crêtes des Pyrénées comme saupoudrée de sucre glace, premières neiges de la saison.
Puis la piste redescend dans les bois, terre battue mêlée de pierres entre les saignées creusées par l'eau courante. Regarder loin, rester souples sur les freins, ne pas se crisper pour ne pas risquer la faute puis la chute.

Sortant des pistes, nous stoppons au café d'un village, histoire de profiter du moment en sirotant quelque chose au soleil, l'occasion aussi de refaire le monde tout en se disant qu'on a bien de la chance d'être là ; ce que se disent les hommes...
Au moment de repartir, une nouvelle fois ma moto refuse de réagir à la pression sur le bouton du démarreur. Vraiment pas de chance, ça doit être la batterie qui a claqué. Nouveau démarrage aux pinces en se disant qu'au premier garage on s'arrête en acheter une neuve.
Changement de batterie opéré, nous repartons le cœur léger, certains que cette  fois-ci on n'en reparlera pas.

Le lendemain, sortant d'un café (encore) ou nous poursuivions la discussion entamée la veille, de nouveau impossible de démarrer. Merde, c'était pas la batterie ! Peut-être le régulateur ? De toute façon ce n'est pas ici qu'on va en dénicher un. 
Un coup de câble et ça repart ! Pas pour longtemps. Quelques kilomètres plus loin la moto de Didier crève de l'arrière.  Décidément, quand ça ne veut pas... et changer un pneu Dakar avec des outils de voyage, y'a plus simple.

Au départ du café suivant, celui de l'après-midi... redémarrant une nouvelle fois la moto sur la batterie de celle de mon coéquipier, nous testons le fonctionnement de l'allumage en tentant une déconnexion complète. Aussitôt le moteur s'arrête. Et là nous sommes dans la mouise. En effet, à moins de rouler de concert avec les câbles reliant les deux motos, à notre connaissance ça ne s'est encore jamais vu, nous ne pourrons plus aller bien loin une fois la batterie totalement déchargée, privant du même coup le moteur d'allumage au milieu de nulle part.
Seule solution, acheter un chargeur pour la recharger complètement pendant la nuit. Par une chance inouïe, un magasin de moto se trouve à quelques mètres d'où nous sommes arrêtés. Autre morceau de chance, nous y trouvons le mini chargeur qui va bien.
...
Le soir venu, imaginez la tête de l'hôtelière nous voyant débarquer dans son établissement, une batterie a la main ; et comme si de rien était, posant la question qui va bien :
- Une chambre avec un grand lit ou deux petits ?
Et nous de répondre d’un regard entendu :
- Nous partageons une batterie de moto depuis 2 jours, alors pour le lit, ce sera deux.

Pas sûr qu'elle ait tout bien compris.

 

mardi 4 novembre 2014

Bouchons Pékinois



Plus d’une heure que nous n’avançons plus. Je commence à m’impatienter. Le chauffeur du taxi pianote sur les trois smartphones fixés sur pare-brise de la Hyundai jaune et verte, donnant au tableau de bord des allures d’arbre de Noël. Décidément, malgré la régulation quotidienne de la circulation fonction des numéros de plaque minéralogique, le trafic routier évolue de mal en pis autour de Pékin. Ça me rappelle Bangkok dans les années 90, où il n’était pas rare de passer 2-3 heures en voiture pour seulement quelques kilomètres. Mais comment faire autrement quand vous avez des bagages à transporter ? Alors je prends mon mal en patience et par curiosité demande à Google l’adresse de l’hôtel. Magie de la techno, le navigateur s’ouvre automatiquement et m’indique le chemin. Un peu plus d’un kilomètre. Je décide de terminer à pied.
Sac à dos et valise à roulette, je suis les indications du GPS dans les ruelles étroites derrières les grandes avenues encombrées de milliers de voitures. L’air est proprement irrespirable. Aux gaz d’échappement s’ajoute un smog poussiéreux qui asphyxie la capitale, effet microclimatique qui ramène et bloque sur la ville les pollutions industrielles de toute la région, à tel point que le Marathon qui s’y est couru il y a quelque jour fut un véritable désastre physiologique pour les participants : malaises et abandons en série, sans parler de ceux qui s’y sont essayés avec un masque. Absurde.
Dire qu’il y a tous justes 20 ans, ici les bouchons étaient de vélos, me donne le vertige, soudaine impression d’avoir déjà vécue plusieurs vies dans ma course trépidante de par le monde pour développer notre entreprise.
Malgré la fraîcheur, en nage, je rejoints mon rendez-vous dans le lobby de l’hôtel, tout surpris de me voir arriver dans cet appareil. Le temps de prendre possession de ma chambre et d’une rapide douche, je le retrouve pour diner. A peine installé, il me branche sur la lamentable attaque juridique que nous subissons d’un de nos grands concurrents dans la génétique poule pondeuse, sous prétexte de brevet de procédé contrefait. Le monde est petit et les nouvelles vont vites, très vites.
-        Et vous en pensez quoi ?
-        C’est évident, me répond-il sans hésiter, cela prouve que vos produits sont excellents et qu’il vous considère comme un concurrent redoutable. On n’attaque jamais un mauvais concurrent. Vous n’avez pas de souci à vous faire. Personne ne va tomber dans le panneau.
Je souris en opinant.
Et mon contact d’ajouter :
-       Personne n’aime les postures impérialistes. Il est évident que votre arrivée sur cette filière remet en cause des positions bien établies. On compte sur vous.
-       Merci, j’apprécie. Nous comptons aussi sur vous.

Tout en dinant nous devisons sur l’état du monde : les manifestations à Hong Kong, la guerre au Moyen-Orient, la crise économique en Europe. Et une fois encore je suis frappé par l’apparent peu d’attention que portent les Chinois au reste du monde, comme si, dans l’Empire du Milieu, seuls les enjeux plaçant leurs intérêts au centre avaient de l’importance. Et il se trouve que nous servons une partie de ces intérêts.