On entre dans New Delhi comme dans un grand décor d’ombres et de lumières, où les palais semblent surgir tels des bijoux ocres dans la cité. Certains arborent les lignes baroques des plus fastueux palais de Maharajah, d’autres se parent d’élégantes colonnades victoriennes héritées de l’époque britannique. Et ces arcs de triomphe aux formats XXL… Parfois, on ne sait plus qui a inspiré qui : l’Orient et l’Occident s’entrelacent dans une danse architecturale étrange et fascinante. Majestueux voire prétentieux, ces édifices trônent au bout de grandes avenues aux perspectives vertigineuses, comme autant de mises en scène destinées à impressionner les spectateurs de péplums hollywoodiens.
Ces larges artères, souvent interdites à la circulation, donnent l’illusion d’une capitale parfaitement ordonnée. Mais à peine s’en écarte-t-on que l’on plonge dans un autre monde. Le trafic congestionné étouffe la ville. Dans un tumulte permanent où se croisent voitures cabossées, bus hors d’âge surchargés de passagers hagards, et nuées de tuk-tuks colorés qui, tel des insectes mécaniques, slaloment dans un ballet anarchique, effleurant carrosseries et piétons avec une virtuosité désespérément nécessaire. Et l’air lourd, saturé de poussière et de dioxyde de carbone, pose une chape étouffante sur la capitale.
Comme dans tant de grandes cités, un fleuve traverse New Delhi. Le Yamuna offre une artère liquide aux berges parfois saisissantes. Quand l’eau reflète les lumières et les temples, où l’on fait ses ablutions, disperse les cendres des défunts et charrie les stigmates d’une urbanisation trop rapide, trop dense, trop inégale.
Au cœur de ce décor aux antipodes de nos repères européens, la rencontre avec l’administration indienne laisse une impression durable. Couloirs crasseux des ministères ou des gens désœuvrés trouvent refuge dans l’ombre bienveillante de l’État. Et derrière les portes grinçantes, des centaines de fonctionnaires entretiennent l’appareil administratif, oscillant entre une nonchalance assumée et des élans de zèle parfois mal orientés. Le temps y prend une autre dimension, comme suspendu à une bureaucratie qui étouffe.
Puis vient l’heure d’un répit, au détour d’un restaurant de quartier. Derrière une façade discrète s’ouvre un monde de contrastes : décor soigné, service impeccable, cuisine qui éveille tous les sens. Les épices s’enchaînent en une symphonie ardente, tantôt brûlante, tantôt douce, qui bouleverse nos repères gustatifs. Le temps d’un repas, New Delhi se transforme en un théâtre de sensations où l’on se laisse envahir par l’intensité de la cuisine indienne, par son audace et sa générosité.
Mais à peine franchi le seuil, l’enchantement se heurte à une autre réalité : sur le trottoir, des silhouettes fragiles, des enfants aux regards immenses, des infirmes, tendent la main pour grappiller quelques pièces. Le contraste est brutal, presque insoutenable. La ville se résume alors à cette fracture béante : faste des palais, perfection des saveurs, survie au jour le jour.
New Delhi n’est pas une capitale que l’on contemple sereinement. Elle se vit comme une confrontation permanente entre beauté et désordre, richesse et misère, grandeur et décrépitude. Elle dérange, fascine, oppresse et séduit à la fois. Et c’est sans doute cette ambivalence qui la rend inoubliable.
1 commentaire:
Tout à fait ça, belle description de cette giga ville aux mille facettes dont on ne sort pas toujours moralement indemne.
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