samedi 21 juillet 2012

Sous le soleil exactement

Face au dilemme cornélien de concilier vacances et voyages, ne parvenant pas à intégrer à ces derniers la notion indispensable aux premières qu’est le repos, nous avons décidé cette année de limiter notre ambition voyageuse estivale pour se consacrer à la motivation principale habituelle des vacanciers : se relaxer, se détendre, se re-po-ser, sans plus d’objectif que d’y arriver vraiment.
Il s’agissait donc de faire simple : destination la Corse avec « armes » et bagages. Pas trop d’armes, on ne sait jamais... en tout cas bien inoffensives (tentes, table et sièges de camping, fil à linge, parasol, palmes, tuba, combi de plongée, télescope, chaussures de rando…), plus tous les bagages indispensables à la vacancière et sa fille adolescente. Je ne vous parle évidemment pas de mes quelques shorts et autres T-shirts, de préférence façon Marcel, ni de la paire de tongs (offerte par mon frère au retour de l’Aconcagua), accessoires obligatoires du vrai vacancier.
Coffre de voiture et de toit chargés raz bord, nous voilà donc partis vers le sud par le long ruban d’autoroute, transhumance des temps modernes façon nationale 7, où l’on traverse la France cruise control calé à 140 km/h. Rien de bien grisant, mais efficace, et à coup sûr pas fatiguant.
Puis la traversée de la Méditerranée, sur ferry de nuit, une cabine de 4 couchettes pour 3. Ca commence bien question repos.

La plage « enfin ».
Je reconnais bien volontiers ne pas être ici totalement dans mon élément de prédilection. Mais heureusement la nature est généreuse… :

Coté mer, sous l’eau transparente, des milliers d’alevins argentés scintillent tels des constellations d’étoiles sous les rayons de soleil diffractés par les risées de surface, au gré de leurs étonnants mouvements de masse, comme si, à la façon essaims d’abeilles, ils ne constituaient qu’un seul et même corps.
Sur fond de sable clair, des prairies de posidonies ondulent sous l’effet de la houle entre les rochers où se cachent de plus gros poissons multicolores. Suivant les espèces certain évolue en solitaire quand d’autres se déplacent en bancs élégants de quelques dizaines d’individus tous identiques au milieu desquels il est tellement agréable de se fondre à la faveur de trop éphémères apnées, moments de grâce absolue, apesanteur aquatique, comme un retour à nos lointaines origines.

Coté plage c’est un tout autre spectacle, comme si cette fine bande de sable fin, magique poudre blanche, hottait toute inhibition aux vacancier(e)s, où chacun(e) se lâche dans une exhibition corporelle inattendue :
les jeunes (et jolies) filles pudiques en bikini peaufinent un bronzage parfait, pouces sur le portable à pianoter des SMS en écoutant, oreillettes vissées au visage, les derniers tubes à la mode, tandis que leur maman en string exhibent sans plus de manière leur corps dénudé aux formes moins avantageuses, lisant nonchalamment des magazines people, aux cotés d’une gente masculine curieuse…, regards masqués derrière les lunettes fumées, arborant, ventres rentrés quand c’est encore possible, et torse bombés, les pieds dans l’eau, la fameuse démarche à la Aldo Machone. La nature est généreuse disais-je…
Et je souris en imaginant quelques rencontres cocasses en petites tenues avec sa boulangère, son banquier ou le proviseur de l’école des enfants, d’ordinaire « très comme il faut » …

Bon, j’admets forcer un peu le trait, mais reconnaissez qu’il y a du vrai. Et je ne vous parle pas des peaux brûlées par le soleil, comme si la qualité des vacances se mesurait aussi à l’intensité des coups de soleil.
Et la journée plage s’écoule ainsi, à la vitesse de déplacement de l’ombre du parasol et du repositionnement de la serviette, entre baignades et crème solaire, abrutis par la chaleur et la lumière intense d’une belle journée de juillet. Les vraies vacances à ce qu’il parait.
 ...
Cela dit la Corse est une vraie belle destination de vacances reposantes, entre mer turquoise et transparente, plages magnifiques, petits criques magiques, forêt majestueuses, somptueuses montagnes desquelles descendent d'inattendus torrents formant des vasques d'eau claire au creux desquelles il fait si bon piquer une petite tête aux heures chaudes de l'après-midi.
L' Îles de Beauté n'a pas volé son nom.

vendredi 22 juin 2012

American Dream

Confortablement installés sur le siège arrière du SUV Ford, les miles défilent doucement le long de l’interstate 40.
Cruise control calé à 65 miles/h, nous roulons vers l’Est sur de longues courbes asphaltées traversant les Apalaches, frontière naturelle entre le Tennessee et la Caroline du Nord. Traffic intense entre les « trucks » - en fait les gros pick-up Américains - et les énormes « trailers » aux chromes rutilants. Paysages grandioses de forêts millénaires où vivaient les indiens Cherokee repoussés vers l’est, puis parqués en réserve sur le plateau d’Ozark, de l’autre coté du Mississipi à des centaines de kilomètres de là.

Je décompresse en profitant du moment, au cœur de cette Amérique tellement singulière pour un français moyen, étonnant mélange de conservatisme puritain et de progressisme innovant, où l’initiative individuelle, les valeurs travail et argent sont les points cardinaux d’une société bousculée par la conjoncture économique mondiale. L’Amérique est en crise, certe, mais les Américains ne se plaignent pas. Ils travaillent, travaillent dûr, avec détermination et enthousiasme, convaincus que demain sera meilleur, que l’avenir se crée à force d’engagement positif, qu’ils tiennent leurs destins en main.
A cet instant je vis mon rêve Américain, porté par le beau développement de nos activités aux USA, juste récompense d’efforts au long cours et de persvérence de nos équipes : dynamique des hommes, croissance à deux chiffres, installations impeccables.
Profiter mais ne pas s’euphoriser, en essayant de comprendre les ressorts de la dynamique en cours. Ici tout semble possible...

dimanche 10 juin 2012

Prochain rendez-vous en 2117 !

 - Bonsoir Monsieur, alors c’est donc vous qui cherchiez un hôtel à proximité d’une vue dégagée sur la mer vers le Nord-Est, me lance la dame à la réception de l’hôtel, et d’ajouter,
- François, c’est l’Monsieur qui cherchait une chambre avec vue sur la mer.
La quarantaine bronzée, le couple d’hôteliers m’acueille avec curiosité. Quelle peut bien être la raison d’une demande aussi précise ? Je lis avec amusement l’attente d’une réponse dans leurs regards interrogateurs, laissant passer quelques secondes de suspens…
- Et bien oui, demain matin se déroule un phénomène qui ne se reproduira que dans 105 ans, alors je ne voudrais pas manquer ça.
Un autre client assis à la réception se lève discrètement pour écouter la conversation en faisant semblant de prendre un journal sur le comptoir d’accueil. Je souris intérieurement. Vont-ils poser la question ?
- Et de quoi s’agit-il me lance finalement la dame avec un sourire entendu ?
- Une sorte d’éclipse lui répondis-je.
La planète Vénus passe juste en nous et le soleil. Et si le ciel est dégagé le phénomène sera visible entre le levé du jour, vers 6 heures et quart, et 7 heures, comme un grain de beauté transitant sur le disque solaire.
- Ah oui, ajoute son maris, j’ai vu cela sur BFM TV. Mais les prévisions météo ne sont pas fameuses...
- Pas terrible en effet, mais en Bretagne ne fait-il pas beau plusieurs fois par jour ?
- En fait on n’est pas d’ici ajoute la Dame, nous venons de reprendre l’établissement et nous installer à Binic semaine dernière…
Je me disais bien qu’ils avaient un peu l’air de tomber du ciel dans un lieu qui ne semblait pas encore être tout à fait le leur. Accueil charmant mais un peu gauche dans le style qui n’avait rien de breton…
Tandis que je prends possession des clés, dans une franche bonne humeur nous nous souhaitons mutuellement, bienvenu et bonne nuit !

5H30 : à la sonnerie du réveil je me précipite à la fenêtre pour constater que le ciel est totalement « bâché »… Zut, ça ne s’annonce pas bien. Contrairement à l’habitude je n’enfile pas ma tenue de jogging, la délaissant pour une fois pour des vêtements chauds, avale un thé brûlant, puis prends la voiture pour me rendre jusqu’à une aire de pique nique en front de mer repérée la veille à quelques centaines de mètres de l’hôtel. Un camping car « dort » ici sous la bruine. J’aperçois tout de même une petite percée à l’horizon vers le Nord-Est. Avec un peu de chance… Une autre voiture se gare près de la mienne. Un gars échevelé en sort, scrutant l’horizon d’un air dubitatif avant d’ouvrir son coffre pour en sortir un petit télescope et du matériel photographique.
- J’imagine que nous venons pour la même chose, lui dis-je.
- Ben oui, sous aucun prétexte j’voudrais manquer ça. Mais ça s’annonce pas bien.
Tout en souriant intérieurement sur la rencontre impromptue avec cet autre rêveur, je sorts aussi ma petite lunette 80 x 400 et pointe vers l’Est en espérant l’éclaircie…
6h20 : le soleil est sensé se lever sur la mer. La masse nuageuse rosie mais aucun rayon ne perce. Par chance, la trouée apperçue au Nord-Est semble bien se déplacer vers l’astre du jour.
6h35 : assis sur mon petit tabouret je guette l’instant quand enfin le soleil apparait entre quelques nuages effilochés poussés par une brise légère. Lentille principale de la lunette protégée par 2 couches de couverture de survie pour filtrer les rayons brûlants de notre étoile, je mets l’œil à l’oculaire et me surprends à « crier » :
- Je l’ai !
Partiellement masquée par une opaque bande nuageuse, une demi-sphère orangée se dessine nettement, puis le temps de faire la mise au point, s’approchant du bord du globe incandescant, un joli point noir apparait tel un grain de beauté. Je distingue aussi clairement quelques tâches solaires, signe d’activité de notre étoile où se développent les titanesques réactions thermonucléaires dégageant l’énergie bienfaitrice nous parvenant sous forme de lumière et de chaleur. Puis l’image se trouble rapidement avant de disparaître définitivement derrière la compacte masse nuageuse barrant l’horizon.
Moins d’une minute d’observation… Quel dommage !
Tandis que mon voisin ramasse son matériel, je reste assis sur mon petit tabouret pliable, le regard perdu vers le levant, encore sous le charme de cet instant de grâce trop éphemère, court momment de communion avec la grande mécanique céleste, depuis une petite planète bleue gravitant autour de son étoile quelque part dans l’univers.

dimanche 27 mai 2012

Eternelle Russie

La Mercedes 600 V12 de notre hôte roule à vive allure sur l'autoroute en direction de Kazan, au cœur de la Russie.
Confortablement installé sur le siège arrière à réglages individuel de cette berline d'exception dont la décoration intérieure personnalisée a été commandée en Italie - boiseries précieuses, très beaux cuirs jusqu'au plafond, équipements électroniques personnels dernier cri et j'en passe - le paysage défile en silence derrière les épaisses vitres teintées. Ici rien n'est trop "beau" pour impressionner les visiteurs, et je me demande ce que je vais bien devoir imaginer lors du match retour en France. En tout cas certainement pas jouer sur le même registre, mais plutôt celui de la technologie, celle développée chez nous qui les intéresse tant, et peut être un diner très simple à la maison pour conforter les relations personnelles. Autre monde, autres mœurs.
...
Kazan, capitale de la république du Tatarstan. Pour rejoindre l'université nous empruntons à pied "le chemin des écoliers" par le kremlin, littéralement cité fortifiée, à l'impressionnante enceinte blanche immaculée. Au milieu de la fortification domine une magnifique église orthodoxe blanche et bleue aux clochers dorés brillant de mille feux sous le soleil de fin d'après-midi. A quelques mètres un étonnant minaret de briques rouges plusieurs fois centenaire semble lui faire écho. Un peu plus bas, au centre d'une esplanade de pavés noirs, une spectaculaire mosquée reconstruite récemment, sorte de Taj Mahal Tatar que l'on présente comme la plus grande d'Europe, domine la vielle ville construite sur les rives de la Volga. Surprenant mélange des genres. L'image est belle. En marchant d'un bon pas sur les trottoirs impeccables longeant les façades style empire, nous croisons une population multiethnique mêlant origines occidentales et orientales, entre les grands blonds aux yeux clairs et les petit brun aux yeux en amande, styles vestimentaires marquant aussi les différences culturelles, notamment religieuses - chrétiens orthodoxes, musulmans, quelques juifs - tout cela apparemment dans une belle harmonie.
Nous entrons par la porte principale de l'universite, sous de monumentales colonnes "grecques", très grand bâtiment dans le plus pur style classique Russe. A l’intérieur d’interminables couloirs agrémentes de multiples tableaux et gravures retraçant l'histoire de ces lieux chargés d'histoires, carrelage polis par les pas de milliers d'étudiants formés ici depuis plus de 200 ans, mains-courantes impeccablement cirées et cuivres rutilants. Cela sent bon la culture, la science, les arts, tous ces ingrédients qui font la Russie éternelle et lui donne ce supplément d'âme que l'on ne retrouve pas ailleurs, en tout cas pas de la même façon, et qui rend ce pays si attachant.
Après notre rendez-vous de l'après midi avec le Premier Ministre, nous rencontrons maintenant le recteur de ces lieux prestigieux, accompagné de tout un aréopage d'enseignants chercheurs pour parler biopharmacie, grand oral au débotté sur des bancs où sont se sont assis notamment l'écrivain LéonTolstoy ou le mathématicien Carl Friedrich Gauss. Moment quelque peu impressionnant pour l'autodidacte que je suis, où il s'agit d'expliquer notre approche technologique originale de manière synthétique et pédagogique. Je suis aidé par Anne-Marie, notre interprète, petite femme française pétillante, d'une rare vivacité, parlant parfaitement le Russe. Ecoute attentive de la petite assemblée, questions pertinentes, le moment est agréable, un peu en dehors du temps. Ici nous n'avons rien à vendre directement, juste stimuler l'intérêt pour ce que nous développons, moment d'échanges intellectuels sans autre arrière pensée. Et je regarde nos interlocuteurs dans "les yeux" en me disant que je les envie pour un court instant de s'épanouir dans un monde d'idées, de réflexions, d'échanges intellectuels où le temps et la pression économique n'ont que peu d'emprise.

mercredi 23 mai 2012

"Poussières d'étoiles"

Passer une nuit à l'observatoire astronomique du Pic de Midi est une expérience unique.
Pour se rendre à la Mongie, d'où part le téléphérique, il a n'y a que deux choix, et encore uniquement à la belle saison : soit monter gentiment au village par la vallée, soit y accéder via l’autre versant en empruntant le célèbre col du Tourmalet.
Les plus courageux tenteront de le franchir à vélo, j'en connais... mais quoi de plus plaisant qu’une montée en voiture "sportive classic" ? Oui, vous savez, l'une de ces vraies voitures des années 70 où l'on s'assoit par terre, avec le moteur à l'arrière, et bien entendu sans direction assistée, ni ABS, ni autre assistance électronique de ce genre, histoire de conduire vraiment.
Donc, pour ceux qui ont la chance d'en posséder une, ou de s’en faire prêter par un très très bon copain... attaquer le col toutes fenêtres ouvertes, profiter pleinement de l'air frais d'altitude en se délectant des montées en régime du moteur dont le son amplifié par les parois rocheuses devient une véritable symphonie mécanique - improbable symbiose de la machine avec la nature - engager la voiture dans les épingles à la limite de l'adhérence et accélérer, encore en appui, en jouant sur le grip des gommes des roues arrières est un plaisir unique à consommer sans modération, peut-être moins agréable pour ma passagère, mais comme c'est mon anniversaire j'ai droit à quelques tolérances conjugales ; d'autant qu'entre les lacets, la limite des 90 km/h n'est pas vraiment contraignante. Et de toute façon, où voudriez-vous mettre un gendarme en embuscade sur ce type de terrain, entre le mur rocheux au raz de la chaussée et le ravin de l'autre coté ?
 ...
De La Mongie part donc le téléphérique vers l'observatoire perché à presque 3000 m d'altitude. A bord de la cabine retour au calme. Montée en silence pendus à un fil dans l'épaisse couche nuageuse, sensation de perte de repère absolue enveloppé d'une étrange atmosphère cotonneuse d'un blanc presque fluorescent. Approcherions-nous du paradis ?
Puis les brumes se déchirent laissant apparaitre un étrange vaisseau bardé d'antennes et de coupoles posées sur les cimes. Nous débarquons tout sourire et prenons rapidement possession de notre chambre, en fait une simple cabine perdue dans un dédale de couloirs reliant des salles aux noms étranges nichées entre les différentes ailes du bâtiment. On s'attend à croiser Monsieur Spock mais ne rencontrons que des astronomes échevelés aux yeux rougis par des nuits trop courtes.
Pour un astronome amateur dont je suis, imaginer mettre l'œil à l'oculaire d'un instrument professionnel, qui plus est à l'observatoire du Pic, est un rêve de gosse ; de ceux d'un pilote amateur imaginant un jour voler à bord d'un jet de chasse (ça ce sera pour une autre fois... peut-être...), ou d'un conducteur de GTI prenant le volant d'une F1. Il reste tant à faire…
Mais pour en revenir au rêve du jour, plus précisément de la nuit offerte par ma chérie... (qu'allez vous imaginer ?) les prévisions météo s'annoncent médiocres. Comme il est bien connu que le temps change très vite en montagne, on garde toujours l'espoir d'une percée tandis que le ciel s'obscurcit et que la neige commence même à tomber.
Notre animateur est lui aussi désolé mais n'y peut rien. Il nous compte l'épopée de la construction de l’observatoire du Pic, depuis le Général Nansouty pionnier de la fin du 19eme siècle, en passant par Bernard Lyot et ses célèbres chronographes solaires, jusqu'à nos jours, formidable aventure humaine portée par des passionnés pour ce chantier qui a été le plus haut d'Europe, dans des conditions particulièrement inhospitalières. Une prouesse.
La percée attendue ne venant malheureusement pas, on nous présente un merveilleux « film de contrebande », superbe montage d'images chipées sur internet et commentées avec talent, travail d'astronomes philosophes remettant en perspective la modestie et la magie de notre condition humaine, "poussières d'étoiles" perdues quelque part dans l'immensité de l'univers. Sommes-nous là par hasard ? Sommes-nous les seuls ? Avons-nous bien conscience de notre situation sur cette si fragile petite planète bleue ?
Car c'est aussi cela aussi l'astronomie, tenter de comprendre le mystère des origines, imaginer vers où nous allons, rêver à d'autres mondes lointains, être pris de vertiges devant l'immensité du cosmos, de sa beauté, de son fonctionnement.
Et la soirée s'allonge doucement. Dehors ça ne s'arrange pas. Alors que nous aurions aimé observer, nous dissertons tout en tournant avec respect autour de ces extraordinaires machines à remonter le temps que sont les télescopes. Imaginez en effet que regarder une galaxie située à des millions d'années lumière c'est en réalité la voir telle qu'elle était au moment où la lumière que nous recevons d'elle est partie dans notre direction, et non pas telle qu'elle est aujourd'hui. Regardez loin c'est regarder tôt. Et depuis qu'a t'il bien pu se passer sur ces mondes lointains ? Et parler de tout cela est finalement presque aussi agréable que d'observer.
 ...
La nuit s'étire sous les flocons. Il est maintenant temps de se coucher. Nous n'avons rien vu, et pourtant des étoiles plein les yeux rougis par cette veillée peu ordinaire.

dimanche 29 avril 2012

Real Politik

Petit saut en Allemagne aujourd’hui considérée comme le pilier économique de l’Europe (et par là même politique) chacun y allant, en cette période de crise économique et d’élection présidentielle chez nous, de ses références à notre puissant voisin considéré comme le modèle à suivre…
Au terme d’un vol matinal turbulent « mon » avion se pose à Düsseldorf. Je retrouve mes co-équipiers et nous roulons vers l’Est pour rejoindre le siège social d’un important opérateur des filières volailles avec lequel nous avons rendez-vous. Trafic intense sur l’autoroute, entre le flux ininterrompu des camions sillonnant l’Europe sur la file de droite et les puissantes berlines et autres Porsche déboulant à haute vitesse tous feux allumés sur la file gauche, circulation régulièrement ralentie par les zones de travaux au sortir de l’hiver.
De part et d’autre de l’autoroute la campagne est ponctuée de champs d’éoliennes et de fermes impeccablement tenues, presque toutes équipées d’installations photovoltaïques auxquelles s’ajoutent souvent une unité de bio-méthanisation.
Ici, en moins de 10 ans, la production privée d’énergie est devenue un business dont les agriculteurs se sont forts opportunément emparés. Sur cette même décade, la production agricole a connu un développement extraordinaire, juste dividende du courageux choix de la réunification qui, après une période de flottement et de restrictions, a ouvert de nouvelles perspectives de développement à la grande Allemagne dont l’agriculture est l’une des plus efficaces illustrations : nouveaux espaces, main d’œuvre disponible et relativement bon marché, volonté politique. Alors on y va de manière pragmatique.
Et c’est comme cela qu’en 10 ans l’Allemagne est en train de nous rattraper, pour ne pas dire dépasser, sur ce secteur dont nous (les français) nous targuions pourtant d’être les champions d’Europe à côté d’un voisin Germanique considéré comme le champion de l’industrie. Nous avions « perdu » le match de l’industrie mais nous contentions de la situation en « sauvant l’honneur » grâce à nos filières agro-alimentaires. Et bien force est de constater que cet équilibre industrie / agriculture de chaque côté du Rhin est en train de tourner à l’avantage de nos voisins y compris pour l’agriculture !
Et nous n’avons rien vu venir, englués dans des querelles de clochers sur les questions environnementales et autres lourdeurs administratives bien souvent stériles.

Discussion dense et chaleureuse avec notre interlocuteur. Tous les points sont évoqués de manière efficace, en totale transparence apparemment.
En fin d’entretien notre hôte aborde avec tact le résultat du premier tour de nos élections présidentielle. Après la question de savoir qui de Nicolas Sarkozy ou François Hollande sera notre prochain Président, il prend un air plus grave en évoquant le score préoccupant de l’extrême droite à un peu moins de 20% des voix et surtout près d’un vote sur deux chez les jeunes entre 18 et 24 ans.
Je ne peux que confirmer ma consternation face à cette triste réalité du vote « massif » pour un parti soutenant des thèses isolationnistes, xénophobes et rétrogrades de la pire espèce, pas fière de ce qui passe « chez nous ».
- Vous savez ajoute t-il, au milieu des années 30, dans un contexte de crise économique sans précédent, les extrémistes ont prospéré chez nous avant de prendre le pouvoir de façon démocratique dans un premier temps. Incidemment le centre modéré s’est déplacé vers la droite bien pensante qui du coup a elle-même dérivé vers de dangereux extrêmes… Et cela nous a conduits au pire sans que la majorité ne s’en aperçoive, au moins dans un premier temps.
Nos regards se croisent sans plus de commentaire.
Je contiens ma colère, plus convaincu que jamais que notre entreprise a un rôle à jouer dans le développement et la promotion d’un modèle social ouvert et multiculturel auprès des hommes et femmes qui accompagnent notre aventure industrielle à travers le monde.

mardi 10 avril 2012

Brésil : "ferme du monde"

Sao Gabriel Do Oeste, Sud-est du Brésil, petite ville du Mato Grosso do Sul bordant le Paraguay et la Bolivie :

6h du matin, je trottine tranquillement dans les rues rectilignes orientées selon les points cardinaux. Je cours derrière mon ombre qui s’étire vers l’ouest, profitant de la caresse réconfortante des premiers rayons du soleil. Mon heure préférée, moment toujours magique où la journée démarre pleine de promesses, éveil de la nature et des sens, instant particulier où tout est encore possible.
Trois toucans au bec magnifique vont se poser dans un bel arbre au milieu d’un petit square sans prétention. Assis au pas de sa porte sur une chaise déglinguée, menton appuyé sur une cane polie par le cuir de mains usées comme les outils de travail d’une vie, yeux plissés face au levant, un vieux bonhomme hors d’âge profite aussi de l’instant. Nos regards s’échangent un sourire.
Un chien famélique aux allures de Rantanplan, le fidèle compagnon de Lucky-Luke, traverse fièrement la rue comme à la parade. Où a-t-il bien pu apprendre cette démarche de cirque ?
Je sursaute au cri strident de deux perroquets multicolores voletant au dessus de moi vers un lampadaire public.
Nous sommes au cœur de cette Amérique latine où la nature recèle encore quelques merveilles inattendues. Et je repense au rendez-vous de la veille.

 …

L’histoire de cette famille est peu commune. Immigrés Italiens de troisième génération, ils sont maintenant sept frères exploitant trois propriétés pour une surface totale de 120 000 hectares, plus 50 000 en location, l’équivalent d’un petit département Français comme l’Essonne !
A force de travail, ils sont parvenus à viabiliser des terres parfois difficiles pour y produire soja, maïs, coton, et y élever des dizaines de milliers de têtes de bétail, tout cela de manière rationnelle et raisonnée.
Au bureau de l’entreprise quelques photos aériennes des exploitations principales. Au milieu de la plus importante un village.
- C’est là que nous avons logé les premiers employés au milieu des années 90. Aujourd’hui c’est une commune autonome de 1500 habitants nous explique non sans fierté l’un des frères.
Nous échangeons avec passion sur l’utilité de nos métiers, « produire de manière durable pour nourrir les hommes », développons sur le formidable enjeu de satisfaire les besoins alimentaires de 9 milliards d’humains à l’horizon 2050. C’est après-demain. Et ce sont chaque jour plus de 220 000 bouches supplémentaires à satisfaire !
Puis nous nous rendons sur une de leur ferme. Au milieu le village des employés, maisons, église, terrain de foot. Tout autour d’immenses parcelles de soja cultivés en alternance avec le maïs en semi direct – les terres ne sont plus labourées, les semences juste enfouies en un passage de tracteur sitôt la récolte précédente – et aussi du coton. Un peu plus loin les porcheries plein air, impeccablement tenues. Le lisier y est méthanisé dans des « bio-digesteurs » produisant le méthane qui alimente directement des génératrices tournant 24/24 pour les besoins électrique de l’exploitation. Nous poursuivons la visite vers les parcelles où sont élevés les bovins viandes nourris à l’herbe fertilisée par les restes des bio-digesteurs. Tous les deux jours le troupeau est poussé d’une parcelle à l’autre, sur un cycle de trois semaines, pour laisser à l’herbe le temps de repousser. Impressionnant de professionnalisme !
Puis nous terminons doucement la soirée autour d’un barbecue avec les employés, après un match de foot sur le stade « Maracana » de l’exploitation. Ambiance bon enfant. On discute beaucoup, on boit des bières et on mange de la viande, beaucoup de viande. C’est comme ça ici.
Nous reparlons de l’état du monde et des enjeux géostratégiques alimentaires.
- Aujourd’hui nous investissons au Soudan et au Mozambique pour y produire des céréales et montrer qu’il est possible d’y faire de grandes choses en agriculture, explique notre hôte.
Je m’étonne en le questionnant sur le potentiel de ces terres « à famine » vu de chez de nous, dans parler de l’instabilité politique locale…
- Le potentiel agricole est énorme me répond t-il sans hésiter. Il y a les surfaces, l’eau en sous sol, la main d’œuvre. Ce n’est qu’une question de volonté et de savoir-faire.
- Et comment faites-vous ? Vous achetez des terres ?
- Non pas du tout, ce n’est pas possible, nous prenons des concessions de 20 ans pour 1 dollar par hectare et par an.
- Mais c’est dérisoire !
- Oui, mais nous nous engageons sur les moyens mis en œuvre garantissant volume et qualité de la production. Nous avons envoyé déjà plus de 50 permanents sur place et formons des équipes Africaines au Brésil.
- Et que se passera t-il après ?
- Et bien nous verrons…
- Et qui vous dit que vous ne serez pas expulsés avant ? L’Afrique…
- Possible, mais nous aurons au moins contribué à quelque chose d’utile et l’agriculture est notre passion. Au fait, à ton avis quelle production animale pourrions-nous développer sur place me demande t-il tout de go ?
- Des volailles évidemment ! Poulet de chair, ou peut-être encore plus simple, des poules pondeuses. L’œuf, le moyen le plus simple et plus économique de produire des protéines animales accessibles au plus grand nombre, sans infrastructure compliquées ni chaîne de froid.
- Nous devrons en reparler sérieusement Fred me dit-il d’un regard insistant.

 …

7h, retour à l’hôtel autour d’un délicieux petit déjeuner local : fruits frais, café noir aux parfums subtils, et pao de queijo, ces délicieux petits pains à la farine de manioc et au fromage. Je retrouve mon équipe. La journée de travail peut commencer, pleine de promesses…