mardi 10 avril 2012

Brésil : "ferme du monde"

Sao Gabriel Do Oeste, Sud-est du Brésil, petite ville du Mato Grosso do Sul bordant le Paraguay et la Bolivie :

6h du matin, je trottine tranquillement dans les rues rectilignes orientées selon les points cardinaux. Je cours derrière mon ombre qui s’étire vers l’ouest, profitant de la caresse réconfortante des premiers rayons du soleil. Mon heure préférée, moment toujours magique où la journée démarre pleine de promesses, éveil de la nature et des sens, instant particulier où tout est encore possible.
Trois toucans au bec magnifique vont se poser dans un bel arbre au milieu d’un petit square sans prétention. Assis au pas de sa porte sur une chaise déglinguée, menton appuyé sur une cane polie par le cuir de mains usées comme les outils de travail d’une vie, yeux plissés face au levant, un vieux bonhomme hors d’âge profite aussi de l’instant. Nos regards s’échangent un sourire.
Un chien famélique aux allures de Rantanplan, le fidèle compagnon de Lucky-Luke, traverse fièrement la rue comme à la parade. Où a-t-il bien pu apprendre cette démarche de cirque ?
Je sursaute au cri strident de deux perroquets multicolores voletant au dessus de moi vers un lampadaire public.
Nous sommes au cœur de cette Amérique latine où la nature recèle encore quelques merveilles inattendues. Et je repense au rendez-vous de la veille.

 …

L’histoire de cette famille est peu commune. Immigrés Italiens de troisième génération, ils sont maintenant sept frères exploitant trois propriétés pour une surface totale de 120 000 hectares, plus 50 000 en location, l’équivalent d’un petit département Français comme l’Essonne !
A force de travail, ils sont parvenus à viabiliser des terres parfois difficiles pour y produire soja, maïs, coton, et y élever des dizaines de milliers de têtes de bétail, tout cela de manière rationnelle et raisonnée.
Au bureau de l’entreprise quelques photos aériennes des exploitations principales. Au milieu de la plus importante un village.
- C’est là que nous avons logé les premiers employés au milieu des années 90. Aujourd’hui c’est une commune autonome de 1500 habitants nous explique non sans fierté l’un des frères.
Nous échangeons avec passion sur l’utilité de nos métiers, « produire de manière durable pour nourrir les hommes », développons sur le formidable enjeu de satisfaire les besoins alimentaires de 9 milliards d’humains à l’horizon 2050. C’est après-demain. Et ce sont chaque jour plus de 220 000 bouches supplémentaires à satisfaire !
Puis nous nous rendons sur une de leur ferme. Au milieu le village des employés, maisons, église, terrain de foot. Tout autour d’immenses parcelles de soja cultivés en alternance avec le maïs en semi direct – les terres ne sont plus labourées, les semences juste enfouies en un passage de tracteur sitôt la récolte précédente – et aussi du coton. Un peu plus loin les porcheries plein air, impeccablement tenues. Le lisier y est méthanisé dans des « bio-digesteurs » produisant le méthane qui alimente directement des génératrices tournant 24/24 pour les besoins électrique de l’exploitation. Nous poursuivons la visite vers les parcelles où sont élevés les bovins viandes nourris à l’herbe fertilisée par les restes des bio-digesteurs. Tous les deux jours le troupeau est poussé d’une parcelle à l’autre, sur un cycle de trois semaines, pour laisser à l’herbe le temps de repousser. Impressionnant de professionnalisme !
Puis nous terminons doucement la soirée autour d’un barbecue avec les employés, après un match de foot sur le stade « Maracana » de l’exploitation. Ambiance bon enfant. On discute beaucoup, on boit des bières et on mange de la viande, beaucoup de viande. C’est comme ça ici.
Nous reparlons de l’état du monde et des enjeux géostratégiques alimentaires.
- Aujourd’hui nous investissons au Soudan et au Mozambique pour y produire des céréales et montrer qu’il est possible d’y faire de grandes choses en agriculture, explique notre hôte.
Je m’étonne en le questionnant sur le potentiel de ces terres « à famine » vu de chez de nous, dans parler de l’instabilité politique locale…
- Le potentiel agricole est énorme me répond t-il sans hésiter. Il y a les surfaces, l’eau en sous sol, la main d’œuvre. Ce n’est qu’une question de volonté et de savoir-faire.
- Et comment faites-vous ? Vous achetez des terres ?
- Non pas du tout, ce n’est pas possible, nous prenons des concessions de 20 ans pour 1 dollar par hectare et par an.
- Mais c’est dérisoire !
- Oui, mais nous nous engageons sur les moyens mis en œuvre garantissant volume et qualité de la production. Nous avons envoyé déjà plus de 50 permanents sur place et formons des équipes Africaines au Brésil.
- Et que se passera t-il après ?
- Et bien nous verrons…
- Et qui vous dit que vous ne serez pas expulsés avant ? L’Afrique…
- Possible, mais nous aurons au moins contribué à quelque chose d’utile et l’agriculture est notre passion. Au fait, à ton avis quelle production animale pourrions-nous développer sur place me demande t-il tout de go ?
- Des volailles évidemment ! Poulet de chair, ou peut-être encore plus simple, des poules pondeuses. L’œuf, le moyen le plus simple et plus économique de produire des protéines animales accessibles au plus grand nombre, sans infrastructure compliquées ni chaîne de froid.
- Nous devrons en reparler sérieusement Fred me dit-il d’un regard insistant.

 …

7h, retour à l’hôtel autour d’un délicieux petit déjeuner local : fruits frais, café noir aux parfums subtils, et pao de queijo, ces délicieux petits pains à la farine de manioc et au fromage. Je retrouve mon équipe. La journée de travail peut commencer, pleine de promesses…

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