lundi 7 septembre 2015

Grande parade à Pékin



Toutes les guerres génèrent leur lot de malheurs, mais suivant que l’on soit l’agresseur ou la victime, le vainqueur ou le vaincu, l’onde de choc qu’elles génèrent a plus ou moins de résilience sur l’histoire des peuples et des nations. Cicatrices et ciment, elles laissent ces traces indélébiles que l’on se plait à exhiber pour en raconter la grande histoire devenant légendaire au fil du temps. Cette histoire des Hommes jalonnée de cataclysmes provoqués par eux-mêmes, comme si la nature humaine avait besoin de cela pour grandir, surmontant ses propres horreurs pour rétrospectivement les transformer en héroïques épopées fondatrices que l’on se raconte la larme à l’œil en disant plus jamais ça. Où que l’on soit, l’histoire a des stéréotypes, et me trouvant en Chine la semaine de commémoration du 70ème anniversaire de la victoire contre les Japonais, j’ai pu vivre cette expérience dans toute sa grandeur.
Il faut dire que pour l’occasion le pouvoir n’a pas lésiné sur les moyens, préparant cette journée depuis des mois, jusqu’à en programmer la météo. J’exagère ? Et bien détrompez-vous. Depuis des semaines, dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres, les activités polluantes ont tout simplement été arrêtées pour nettoyer le ciel du smog quasi permanent qui asphyxie la ville. Et pour parfaire le décor, on a même fait pleuvoir à plusieurs reprises ces derniers jours en pulvérisant par voie aérienne des cristaux chimiques transformant les nuages en pluie. Résultat, Pékin sous un ciel radieux. Dieu n’aura pas fait mieux pour magnifier une journée fériée où chacun va pouvoir profiter d’un spectacle que rien ne saurait perturber, l’aéroport étant même fermé pour l’occasion tout comme le trafic routier arrêté.
La place Tienanmen parée de ses plus beaux atours est apprêtée pour l’occasion : drapeaux, ballons, lampions, fleurs à gogo devant les façades de la Cité Interdite aux allures de décor de péplum tant elles sont impeccables. La tribune officielle, judicieusement placée, participe à la majesté d’un ensemble affichant la puissante bienveillante du pouvoir. Nul doute que Jules César, Alexandre, Napoléon, Churchill, De Gaulle, et bon nombre de nos gouvernants contemporains s’y sentiraient à l’aise…
Décor planté, la parade peut donc commencer. Deux heures trente d’un défilé réglé au millimètre et à la seconde. Ça commence par les vétérans assis et attachés sur des bus décapotés, agitant la main droite comme des automates façon reine d’Angleterre. Certains, visiblement sortis de l’hospice pour l’occasion, semblent complètement déboussolés, tandis que les plus valides écrasent quelques larmes sous les acclamations d’un public enthousiaste agitant des petits drapeaux au passage de ces vieillards exhibés tels des héros, comme une canonisation après 70 ans d’anonymat. Le supplément d’âme des vivants vaut bien quelques raccourcis.

C’est maintenant le tour des corps d’armée actifs, petits soldat par milliers, comme des playmobiles clonés aux couleurs de camouflages, visages poupins aux sourires figés, regards fixes comme hypnotisés par la tribune officielle, au pas cadencé derrière des gradés étincelants de galons et médailles façon sapins de Noël.
Que peut-il bien se passer alors dans la tête de tous ces militaires, impeccablement alignés, chaussures brillantes comme des chromes de pare choc frappant le pavé tels des marteaux de ferronniers.

Dans la tribune officielle on alterne salut militaires et signes paternalistes en agitant quelques petits drapeaux aux couleurs de la nation.
Une imperceptible vibration du sol précède une noria de rutilantes machines de guerre, impressionnante puissance destructrices des blindés légers, chars d’assauts dévorant le bitume de leurs longues chenilles au-dessus desquelles pointes les canons menaçants, missiles tueurs de porte avion (message clairement adressé aux Etats-Unis), drones, et autres fusées intercontinentales aux ogives nucléaires, phallus mortels posés sur des plateformes motorisées.
De loin on dirait des jouets d’enfants tant ils sont nombreux.
C’est alors que le ciel enfle d’un bourdonnement lancinant. Des dizaines d’hélicoptères formant un grand 70, précédant des escadrilles de combat complètes, avant que les jets ne fassent un passage tonitruant, dessinant dans leur sillage de magnifiques arabesques aux couleurs de l’empire du milieu, sous les applaudissements enthousiaste d’une foule galvanisée par de cette spectaculaire démonstration de force.
Puis le calme revient et avec lui le temps des discours officiels sur le ton de la paix et de la réconciliation entre les peuples ; et une surprise : l’annonce par le Président Xi Jinping d’une réduction des forces armées de 300.000 soldats. Comme si aujourd’hui la puissance se jouait au nombre de combattants disponibles...
« Si tu veux la paix, prépare la guerre ! » Finalement rien n’a changée depuis l’empire Romain, et si cela peut nous sembler quelque peu anachronique, quand les Chinois déploient cette parade tous les 5 ans, nous y avons aussi droit tous les ans, le 14 juillet.


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