Franchissant les Alpes dans l’air calme
du petit matin, le Focker 100 élimé de Carpatair, improbable compagnie low cost
Roumaine, se laisse glisser vers la plaine du Pô pour se poser sur l’aéroport
de Milan Malpensa sous un ciel radieux. Voyager vers le sud est souvent
l’occasion de prolonger les belles saisons, et ce 25 septembre ne fait pas
exception.
Nous suivons un groupe de la Chambre
d’Agriculture de Maine et Loire et de la coopérative Terrena, pour une
découverte de l’expo Universelle de Milan au thème prometteur : « Nourrir
la Planète, Energie pour la Vie. »
Aucune prise de tête, juste à suivre le
troupeau ; tout ce que j’aime... Mais pour une fois, pourquoi ne pas se
laisser porter. Suivons donc la gentille organisatrice vers le bus mis à notre
disposition, et en route casse-croute !
Roulez dans la plaine lombarde et la
prospérité de cette Italie du nord vous saute aux yeux : infrastructures
modernes, agriculture rationnelle, nombreuses entreprises regroupées en zones
industrielles de bonne tenue.
L’arrivée sur le parc de l’exposition
n’a rien de très impressionnante, bien loin du gigantisme de Shanghai il y a 4
ans. Nous sommes en Europe et sur un tout autre registre que celui de la
démonstration de force, plus exactement de puissance de l’empire du milieu. Il
doit être ici de question de « sustainability », terme intraduisible
mêlant les notions de durabilité et pérennité souvent associées aux enjeux
environnementaux.
Allons-y voir de plus près.
Le jeu consiste donc à suivre la dame
arborant un bandana accroché au sommet d’une baguette télescopique. J’adore…
L’Expo est organisée le long d’une
vaste avenue abritée sous des voiles tendues. De de part et d’autre s’étalent
les pavillons de plus de 70 pays. Nous sommes conduits illico vers le salon du pavillon
français pour café et discours d’accueil : ministre et dirigeants
d’entreprises sponsors nous expliquent de manière un peu convenue le grand
enjeu alimentaire pour une planète de bientôt 9 milliards d’humains avec comme
leitmotiv, les gaspillages le long de la chaine alimentaire représentant le
tiers de la production totale. Chiffre en effet insupportable et auquel il
convient de s’attarder un peu. Car saviez-vous qu’en France plus de 40% de ces
gaspillages le sont chez les ménages, chacun de nous, plus que dans l’industrie…
Allez, pas une minute à perdre, allons
maintenant voir la manière dont il est question de ce grand enjeu dans les
différents pavillons.
Le pavillon zéro retrace de manière
idéalisée les progrès de l’humanité en matière de production agricole, pour
terminer par une décharge de produits alimentaires. Franchement dire, la
symbolique n’est pas terrible.
Puis nous filons vers les pays
méditerranéens attirés par un titre prometteur autour de la gestion des
ressources aquacoles. En fait rien d’autre que des petits films sur la pêche
artisanale. Rien contre évidemment, mais ce n’est pas avec cela que l’on va
répondre à l’enjeu globale de nourrir l’humanité. Petit détour vers le stand de
la Colombie où l’on découvre une sympathique présentation promotionnelle d’un
pays qui se revendique « heureux et chanceux », mais toujours rien
sur le thème qui nous intéresse. Bien sûr l’Italie fait la promotion de sa
gastronomie : légumes frais, traditionnelle charcuterie, pizza. Délicieux
évidement. Parfait pour les Italiens et les visiteurs étrangers de passage,
mais pas vraiment la solution pour nourrir la planète. Toujours à la recherche
d’une vraie réponse aux enjeux alimentaires mondiaux, nous passons, sans nous y
arrêter, devant le stand Mac Donalds connexe au pavillon US, puis continuons à
déambuler entre les stands de cette grande foire mondiale où chacun fait, et
c’est bien normal, le promotion de son pays à vrai dire sans réel fil
conducteur. On y parle nature, culture, art de vivre, mais jamais vraiment de
production agricole rationnelle, comme si l’enjeu alimentaire se résumait à de
jolis paysages. Aucune mention aux indispensables productions intensives,
encore moins animales. Comme si nous ne consommions que légumes et fruits issus
de jardins d’Eden. Assez surréaliste tout de même. En désespoir de cause, retour
vers le pavillon Français, « nous » qui nous revendiquons comme un grand
pays agricole. Et là surprise. On y entre par un charmant jardin planté de
salades et tomates, jusqu’à une jolie halle de marché en lamellé-collé sous
laquelle sont suspendus casseroles et autres ustensiles de cuisines. Quelques « posters »
expliquent de manière infantile la production agricole façon « Le Bonheur
est dans le Prés ». Une animation tout de même, qui montre quelques
poulets gambadant dans une verte prairie. Bucolique à souhait. Mais ce n’est
tout de même pas comme cela que l’on va nourrir la planète dont la population
croît au rythme de 220.000 personnes par jour. Il va bien falloir produire
plus, beaucoup plus, d’aucuns diront de façon industrielle, ce terme prenant alors
une connotation péjorative lorsqu’il s’agit de nourriture, alors que c’est
pourtant de bien de cela dont s’agit, et que la production de masse peut aussi
être rationnelle, de qualité, écologiquement raisonnée, responsable et
durable ; en un mot « sustainable ».
Alors pourquoi ne pas vouloir la
montrer et même la promouvoir ?
Aurions-nous un problème avec la nourriture
en ne voulant regarder que celle dont nous rêvons, des produits végétaux issus
de jardins bucoliques, qui en réalité n’a que peu de chose à voir avec celle
que nous mangeons réellement : des protéines animales issues d’animaux
élevées dans des bâtiments, et végétales provenant de vastes surfaces agricoles
mécanisées. Mais non, ce n’est pas ce dont le public veut entendre parler. Et
pourtant, le génie de l’Homme lui a permis de devenir l’espèce « dominante »
de notre petite planète par une approche rationnelle et de masse de la production
agricole. Pourquoi la cacher ? Car nul doute que ce même génie nous permettra
de trouver les bonnes solutions face aux nouveaux défis de l’alimentation
durable qu’il s’agit simplement d’expliquer de manière réaliste.
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