lundi 11 mai 2015

Atterrissage d'urgence à Sao Paulo



Ma semaine Brésilienne se termine sur un vol domestique vers Sao Paulo, avant une correspondance vers Paris.
Le ronron des deux turbopropulseurs de l’ATR 72 raisonne dans la cabine du petit appareil de la compagnie régionale Passamedo. Réveillé à 4h du matin, les yeux dans le vague, un peu nauséeux, je suis dans la désagréable torpeur de celui qui n’a pas assez dormi, à laquelle s’ajoutent les effets du décalage horaire. 
A l’horizon, au-dessus des nuages bourgeonnants, le ciel encore ourlé des teintes orangées du levant se dilue dans un dégradé de gris puis d’indigo jusqu’au au zénith, couleurs magiques de celles que l’on découvre au sommet des montagnes.
Je refais le match de la semaine, repensant au lamentable « bashing » de nos concurrents Européens contre notre entreprise, rapporté par des clients consternés de tels comportements selon leurs dires totalement contre-productifs. Si je n’en doute pas, se l’entendre dire spontanément procure une réelle satisfaction. Reste à ne pas tomber dans le panneau de la polémique stérile, et continuer à faire notre job avec professionnalisme et passion.
Mes pensées continuent de vagabonder sans réelle fils conducteur, passant de considérations professionnelles à celles concernant le petit observatoire astronomique en construction à la maison, lieu d’évasion à nulle autre pareil bientôt opérationnel. 
Soudainement l’appareil est secoué d’étranges vibrations avant que je ne ressente pendant quelques secondes "au niveau des fesses", les effets d’une ligne de vol en dérapage. Puis tout semble redevenir normal. 
Encore sous le coup de cette étrange impression, les vibrations reprennent de plus belle, puis cette même sensation de dérapage à gauche. Pas de doute il y a un problème au moteur droit. A travers le hublot je jette un œil sur l’hélice : effectivement elle se met en drapeau puis s’arrête en projetant des gouttes d’huile sur le fuselage. Instant de stupeur en cabine. Personne ne dit mot. Mon voisin, m’ayant vu sortir un peu plus tôt un magazine d’aviation, me lance un regard interrogateur. Ne parlant pas Portugais, en anglais je le rassure en expliquant qu’un avion peut parfaitement voler avec un seul moteur, que c’est justement pour cela qu’il y en a le plus souvent au moins deux, et que nous pourrions même planer tous moteurs arrêtés. Terminant mon explication, le commandant de bord confirme la panne d’une voix très calme aux passagers, indiquant que tout allait bien se passer, et que, non loin de notre aéroport de destination, nous sommes prioritaires pour un atterrissage direct. Tout sourire l’hôtesse va s’assoir et s’attacher. Je m'étonne de la tranquillité des passagers ; à moins que ce ne soit une expression d'inquiétude contenue.
Nous sommes maintenant au-dessus de Sao Paulo à très bonne hauteur, quand l’appareil amorce sa descente vers l’aéroport de Garulhos, sur une pente inhabituellement forte afin de rester en sécurité grâce à l’énergie cinétique emmagasinée pour compenser le manque du moteur défaillant.
J’imagine l’effervescence au sol face à ce type de situation d’urgence heureusement très exceptionnelle.
« Il n’a pas de bons pilotes, mais des vieux pilotes » dit un proverbe d’aviateurs. Pourvu que le nôtre appartienne à la seconde catégorie…
Nous approchons de la piste avec très peu de volets pour ne pas casser à vitesse. Maisons et immeubles défilent à toute vitesse sous l’appareil. Puis le seuil de piste s’efface rapidement tandis que le pilote arrondi doucement, laissant planer l’appareil le plus longtemps possible avant de poser les roues sur le tarmac au long duquel, telles des guirlandes de Noël, sont alignés les véhicules d’urgences tous gyrophares allumés. Nous roulons longtemps, le pilote ne pouvant activer les reverses. Puis l’appareil s’immobilise enfin sous les bravos des passagers soulagés.
Happy-end d’une situation d’urgence parfaitement maîtrisée. Ce pourquoi sont aussi formés les aviateurs.
Mon voisin me serre chaleureusement la main comme si j’y étais pour quelque chose. Je lui souris en lui disant que du coup je vais pouvoir prendre sans encombre mon prochain vol vers Paris.
Good luck ! Me lance-t-il avec une sincérité pétrie d’inquiétude


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