Le terminal 3 de l’aéroport de la Havane
est d’un autre âge, petit bâtiment défraîchi planqué en bout de piste sous les
palmiers, là où sont échouées les épaves d’Iliouchine et autres Tupolev, après
qu’en fin de vie ils aient servi de banques d’organes pour la flotte de la
compagnie aérienne nationale Cubana.
Dès la descente de l’avion, en
provenance d’El Salvador, on y accède par un bus crasseux vomissant une épaisse
fumée noire qui envahit toute la cabine. Ca me rappelle l’arrivée à Sofia sitôt
la chute du mur au début des années 90. Sauf qu’ici nous sommes sous les
tropiques. Et même si les fonctionnaires ont le teint nettement moins blafard
que leur confrère de l’ancien block communiste de l’Est, tout comme eux, ils arborent
un uniforme kaki, mais dans le plus pure style révolution Castriste. Très
moulant, celui des filles s’arrête bien au dessus du genou, le plus souvent sur
des bas noirs à résille… sous le regard bienveillant d’une vielle photo du
Leader Maximo accrochée au mur.
Viva la révolution, Viva le
socialisme !
En transit je n’ai théoriquement pas
à passer la douane et m’adresse donc à l’une des jeunes « amazones » désœuvrées
allant et venant dans le terminal.
A priori étonnée de me trouver là, elle
va chercher un collègue qui me demande d’attendre ici. No stress, j’ai beaucoup
de temps, et je dois avouer qu’après une semaine intense je décompresse. Alors la
situation m’amuse un peu. Une demi-heure passe, le temps de dédouaner les
autres arrivants, puis l’on s’occupe enfin de moi : sous bonne escorte, je
suis invité à monter dans un bus vide qui me transporte jusqu’à l’autre bout de
l’aéroport, au terminal 5.
Le bus s’arrête devant une porte
opaque donnant accès à un grand hall en sous sol, au fond duquel trônent une
dizaine de kiosque de douane. A l’intérieur des petits bonhommes verts vont et
viennent avec nonchalance ; mais pas un passager. Une petite dame au
visage tout fripé, la soixantaine volubile, m’aborde dans un français
impeccable :
-
Bonjour
Monsieur, je suis Norma et je vais m’occuper de vous.
A vrai dire je n’en demandais pas
tant, mais bon, pas d’autre option que de suivre le (lent) mouvement…
-
Donnez-moi
votre passeport et attendez-moi ici me dit-elle.
Derrière une porte entre-ouverte je
la vois le déposer sur un bureau miteux derrière lequel attendent deux
fonctionnaires désœuvrés qui ne semblent pas prêter la moindre attention au document.
Quelques minutes passent et 2 jeunes filles arrivent tout sourire dans le petit
bureau, puis 2 autres, puis 3, puis encore 4… toute une armée au chevet de mon
précieux sésame. Et ça rigole, et ça discute, me dévisageant tour à tour en se
passant le passeport de main en main. Il faut bien reconnaître que la photo
n’est pas à mon avantage…
Après une nouvelle demi-heure
d’attente, alors que je m'apprête à entamer une courtoise négociation pour
tenter de faire avancer le dossier, Norma réapparait tout sourire, récupère le
passeport et me demande de la suivre. Nous empruntons un ascenseur, puis un
dédale de couloirs pour ressortir devant un sas de sécurité gardé par un petit
gars à l’air idiot. Nous traversons le portique sans plus de précaution, toutes
alarmes sonnantes, sac à dos et valise à la main pour finalement déboucher dans
le fameux terminal 5 totalement empoussiéré, comme le centre de Pékin les jours
de tempête sur le désert de Mongolie.
-
Laissez-moi
votre passeport, je m’occupe de votre carte d’embarquement n’indique Norma.
Quel siège voulez-vous ?
-
Business
coté couloir lui dis-je en souriant !
Tant qu’à faire…
Avec zèle elle m’indique le périmètre
à l’intérieur duquel je peux évoluer librement sans document officiel au milieu
de ce chantier.
-
Et
je vous attends où ?
-
Ne
vous inquiétez pas, je vous retrouverai…
Soit ! J’en profite pour acheter
une boite de cigares au duty free du coin. Pas pour les fumer, juste pour les
humer de temps en temps… Purée, ça coûte un bras.
En passant devant la « smoking
area », des effluves de Monté-Christo inondent l’aérogare. Derrière moi un
grand gaillard s’exclame dans un anglais tinté d’accent Russe :
-
Ils
feraient bien mieux de l’appeler « zone de la mort » !
Nous regards se croisent.
Je tue le temps en écrivant cette
petite chronique tout en regardant distraitement les hommes de chantier d’une
totale inefficacité. Visiblement ici rien ne les presse : aucune
coordination apparente et indolence totale. Je ne voudrais pas faire
d’anticommunisme primaire, ni de raccourcis caricaturaux, mais ça rappelle
furieusement les vieux clichés du temps de la guerre froide.
Le vol décolle dans une heure et je
n’ai toujours pas récupéré passeport et boarding-pass, lorsqu’une charmante jeune
femme m’aborde :
-
Vous
êtes Frédéric ?
-
Ben
oui ; c’est bien mon nom.
-
Voici
vos documents Monsieur. Vous embarquez en porte B11 dans 15 minutes.
-
Mais
vous m’avez trouvé comment ?
-
Je
ne pouvais pas vous manquer Monsieur.
C’est fou comme parfois un petit rien
peut vous faire sentir important. Heureusement pas longtemps.
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