samedi 16 novembre 2013

Transit par la Havane



Le terminal 3 de l’aéroport de la Havane est d’un autre âge, petit bâtiment défraîchi planqué en bout de piste sous les palmiers, là où sont échouées les épaves d’Iliouchine et autres Tupolev, après qu’en fin de vie ils aient servi de banques d’organes pour la flotte de la compagnie aérienne nationale Cubana.
Dès la descente de l’avion, en provenance d’El Salvador, on y accède par un bus crasseux vomissant une épaisse fumée noire qui envahit toute la cabine. Ca me rappelle l’arrivée à Sofia sitôt la chute du mur au début des années 90. Sauf qu’ici nous sommes sous les tropiques. Et même si les fonctionnaires ont le teint nettement moins blafard que leur confrère de l’ancien block communiste de l’Est, tout comme eux, ils arborent un uniforme kaki, mais dans le plus pure style révolution Castriste. Très moulant, celui des filles s’arrête bien au dessus du genou, le plus souvent sur des bas noirs à résille… sous le regard bienveillant d’une vielle photo du Leader Maximo accrochée au mur.
Viva la révolution, Viva le socialisme !

En transit je n’ai théoriquement pas à passer la douane et m’adresse donc à l’une des jeunes « amazones » désœuvrées allant et venant dans le terminal.
A priori étonnée de me trouver là, elle va chercher un collègue qui me demande d’attendre ici. No stress, j’ai beaucoup de temps, et je dois avouer qu’après une semaine intense je décompresse. Alors la situation m’amuse un peu. Une demi-heure passe, le temps de dédouaner les autres arrivants, puis l’on s’occupe enfin de moi : sous bonne escorte, je suis invité à monter dans un bus vide qui me transporte jusqu’à l’autre bout de l’aéroport, au terminal 5.

Le bus s’arrête devant une porte opaque donnant accès à un grand hall en sous sol, au fond duquel trônent une dizaine de kiosque de douane. A l’intérieur des petits bonhommes verts vont et viennent avec nonchalance ; mais pas un passager. Une petite dame au visage tout fripé, la soixantaine volubile, m’aborde dans un français impeccable :
-      Bonjour Monsieur, je suis Norma et je vais m’occuper de vous.
A vrai dire je n’en demandais pas tant, mais bon, pas d’autre option que de suivre le (lent) mouvement…
-      Donnez-moi votre passeport et attendez-moi ici me dit-elle.
Derrière une porte entre-ouverte je la vois le déposer sur un bureau miteux derrière lequel attendent deux fonctionnaires désœuvrés qui ne semblent pas prêter la moindre attention au document. Quelques minutes passent et 2 jeunes filles arrivent tout sourire dans le petit bureau, puis 2 autres, puis 3, puis encore 4… toute une armée au chevet de mon précieux sésame. Et ça rigole, et ça discute, me dévisageant tour à tour en se passant le passeport de main en main. Il faut bien reconnaître que la photo n’est pas à mon avantage…
Après une nouvelle demi-heure d’attente, alors que je m'apprête à entamer une courtoise négociation pour tenter de faire avancer le dossier, Norma réapparait tout sourire, récupère le passeport et me demande de la suivre. Nous empruntons un ascenseur, puis un dédale de couloirs pour ressortir devant un sas de sécurité gardé par un petit gars à l’air idiot. Nous traversons le portique sans plus de précaution, toutes alarmes sonnantes, sac à dos et valise à la main pour finalement déboucher dans le fameux terminal 5 totalement empoussiéré, comme le centre de Pékin les jours de tempête sur le désert de Mongolie.
-      Laissez-moi votre passeport, je m’occupe de votre carte d’embarquement n’indique Norma. Quel siège voulez-vous ?
-      Business coté couloir lui dis-je en souriant !
Tant qu’à faire…
Avec zèle elle m’indique le périmètre à l’intérieur duquel je peux évoluer librement sans document officiel au milieu de ce chantier.
-      Et je vous attends où ?
-      Ne vous inquiétez pas, je vous retrouverai…
Soit ! J’en profite pour acheter une boite de cigares au duty free du coin. Pas pour les fumer, juste pour les humer de temps en temps… Purée, ça coûte un bras.
En passant devant la « smoking area », des effluves de Monté-Christo inondent l’aérogare. Derrière moi un grand gaillard s’exclame dans un anglais tinté d’accent Russe :
-      Ils feraient bien mieux de l’appeler « zone de la mort » !
Nous regards se croisent.

Je tue le temps en écrivant cette petite chronique tout en regardant distraitement les hommes de chantier d’une totale inefficacité. Visiblement ici rien ne les presse : aucune coordination apparente et indolence totale. Je ne voudrais pas faire d’anticommunisme primaire, ni de raccourcis caricaturaux, mais ça rappelle furieusement les vieux clichés du temps de la guerre froide.

Le vol décolle dans une heure et je n’ai toujours pas récupéré passeport et boarding-pass, lorsqu’une charmante jeune femme m’aborde :
-      Vous êtes Frédéric ?
-      Ben oui ; c’est bien mon nom.
-      Voici vos documents Monsieur. Vous embarquez en porte B11 dans 15 minutes.
-      Mais vous m’avez trouvé comment ?
-      Je ne pouvais pas vous manquer Monsieur.

C’est fou comme parfois un petit rien peut vous faire sentir important. Heureusement pas  longtemps.

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