dimanche 19 mai 2013

Addiction



Paris - Buenos Aires, plus de 13 heures de vol de nuit, longue diagonale sur la petite planète où l'on croise l'équateur, change d'hémisphère et passe sans transition du printemps à l'automne.
Les premières lueurs de l'aube australe ont quelque chose de différent, une transparence un peu crue donnant aux couleurs des reliefs à nuls autres pareils.
L’hiver approche et les filles portent de jolis pulls en laine colorée.
Un café ; même si je n'en bois jamais. Il a ici une saveur particulière, couleur d'encre mais d'une douceur exquise que je déguste avec un sandwich jambon-fromage-salade.
Assis à la terrasse d'un petit bar je profite de l'air vif de ce début de journée quand un bus passe dans la rue : "Aconcagua express line". Mon cœur s'emballe en repensant à l'expédition de l'an dernier et je ne peux m'empêcher d'esquisser un petit sourire en revoyant quelques images. (Cf. récit de l'aventure dans les archives du blog en remontant à février 2012).
...
Rosario, sur les rives du fleuve Parana.
Avec quelques uns de mes coéquipiers brésilien, américain et canadien, je participe au lancement de notre nouvelle marque mondiale en génétique porcine "Choice Genetics", avant première en collaboration avec notre dynamique distributeur Argentin : réception parfaitement organisée, présentations bien rodées, très bonne ambiance.
C'est le break de fin d'après-midi et je m'échappe un peu du brouhaha pour profiter de l'environnement exceptionnel.
La grande terrasse du lieu de la manifestation donne sur le fleuve qui selon les gens du coin serait ici le plus large du monde, s'étalant sur 45 km entre d'étroites bandes de terre... Quoi qu'il en soit le volume d'eau qui s'écoule est impressionnant, force tranquille de millions de m3 descendant doucement du cône sud, alimenté par les pluies tropicales du Brésil et du Paraguay.
Quelques oiseaux exotiques s'ébattent dans les arbres longeant la berge, sifflements inhabituelles pour des oreilles d'européen.
Je ferme les yeux pour profiter de l'instant en prenant quelques grandes respirations, quand des images de montagnes me traversent de nouveau l'esprit. Pour tout dire, depuis plusieurs mois elles ne me quittent plus vraiment, depuis la descente du sommet de l'Aconcagua, une petite voix lancinante qui me pousse vers d'autres cimes, et ce nom mythique qui tourne en boucle, devenu nom commun quand il s'agit de qualifier l'impossible : Everest. Et j'ai beau me raisonner, me dire que ça n'a pas de sens, que ce n'est pas pour moi, tenter de rationaliser les risques / bénéfices, mais rien n'y fait. J'en ai le ventre noué comme aux meilleurs moments de cette addiction aux déserts qui m'avait touché il y a bien longtemps, suite à une  première expédition saharienne montée après avoir acheté à la boutique du coin, sur un coup de cœur, la carte Michelin de l'Afrique l'Ouest et ses immenses étendues de sables jaunes aux noms évocateurs comme « Grand Erg Oriental » ou encore « Tanezrouft ». Ce sont aujourd'hui d'autres mondes bruts et minéraux qui me font frissonner : Himalaya, et l'un de ses sommets mythiques, le Cho-Oyu, 8300 m, objectif "raisonnable" à tenter l'an prochain avant, peut-être, d'envisager l'impossible.
Le soleil se couche. Un cargo orange descend tranquillement le courant vers l'estuaire du Rio de la Plata, presque une mer intérieure entre Buenos Aires et Montevideo.
Doucement quelques bancs de brume s'élèvent sur le fleuve.

On m'appelle. Allez, il faut y retourner, le boulot n'est pas encore terminé pour aujourd'hui.

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