mardi 30 décembre 2025

Ni la vierge, ni le loup


On n’arrive pas à Rocamadour par hasard, un peu penché en avant, comme si le corps savait avant la tête. La route serpente, la roche se referme, puis soudain la cité surgit, verticale, improbable, accrochée au vide. Tout oblige à s’arrêter.
Nous sommes arrivés quand le jour renonçait. Cette heure incertaine où la lumière ne décide plus, où les couleurs se retirent sans disparaître tout à fait. 
La cité s’offre à nous comme un décor suspendu, déjà rendu au silence et au crépuscule. Les pierres, dans l’ombre froide de la lumière argentée de la demi-lune, patientent.
Nous avons marché sans but précis, portés par la pente et la curiosité. Les ruelles étroites semblent taillées pour le pas lent. Ici, rien ne presse. Tout invite à la retenue. La roche, les murs, les escaliers racontent mieux que des mots les siècles empilés, les passages répétés, les attentes.
La nuit tombe franchement quand nous entrons dans le sanctuaire.
À l’intérieur, la pénombre avale les formes. L’église n’est plus un lieu à voir, mais un lieu à ressentir. Quelques bougies, comme des îlots de lumière tremblante, insuffisants pour révéler le décor, mais assez pour installer le recueillement. Nous en allumons une pour les gens que nous aimons
Seuls dans la basilique, nous ne l’avons pas vue. Elle reste dans l’ombre, invisible, comme volontairement retirée. Aucune statut sombre ne se détache, aucun regard figé croise le nôtre. Et pourtant, rien ne manque. Sa présence n’a pas besoin d’image.
Elle est là dans le silence dense, dans cette sensation étrange d’être arrivés quelque part sans pouvoir le nommer. Dans la gravité du lieu, dans la retenue qu’impose les pierres anciennes quand elles se referment sur la nuit. Dans cette manière qu’a Rocamadour de ne rien donner tout de suite.
Nous sommes restés quelques instants. Sans attente précise. Sans prière formulée. Simplement là. Et cela suffisait.

En ressortant, sous un ciel piqueté d’étoiles, la cité s’est encore assombrie. Les marches deviennent incertaines, les perspectives se brouillent. Mais quelque chose demeure étonnamment clair. Comme si l’essentiel ne demandait pas à être vu pour être éprouvé.
Peut-être est-ce la vraie magie de Rocamadour. L’expérience rare d’une présence qui se dérobe, qui ne s’impose pas. Une présence qui laisse chacun faire le chemin à sa manière, à son rythme, dans la lumière ou dans l’ombre.

Nous n’avons pas vu la Vierge noire dans la basilique. Pas plus que nous n’avons vu le loup autour des remparts de la cité. Mais nous sommes repartis avec le sentiment qu’ici, même l’absence a un sens, comme si c’était dans ce que l’on ne distingue pas que les lieux parlent le plus juste.

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