En cette saison, la vallée de La Loue a
des allures de forêt primaire. La végétation luxuriante s’y épanouit dans une verdoyante
surenchère. Pour se faire une place au soleil, les plus petites plantes
colonisent les arbres aux branches recouvertes de mousses épaisses ou délicates. Magie d’un écosystème millénaire, parfaitement réglé, que nous pénétrons par un
étroit sentier rocailleux.
Sous un ciel chargé, il ne pleut plus.
Ou pas encore. En contre bas s’écoule la rivière dont nous remontons le lit à contre-courant.
A notre gauche, au-dessus de la forêt, s’étirent les falaises calcaires.
Au détour d’un méandre, Jean-Louis nous
indique que nous sommes arrivés.
- Regardez
tout là-haut, la petite cavité noire au-dessus des arbres. C’est de là que nous
redescendrons en rappel.
-
OK.
Et nous y allons comment ?
-
Par
la Grotte Des Faux Monnayeurs que nous allons explorer.
-
OK...
Un peu plus loin, au bord du sentier, l’entrée
de la vaste grotte s’ouvre sur le rocher. On y accède par une courte échelle
métallique rouillée.
La voute naturelle s’enfonce dans les
ténèbres en un boyau plus étroit. Nous allumons les lampes de nos
casques et nous enfonçons dans cette obscurité de catacombes. Avec prudence, nous
avançons dans un environnement étrange inconnu de la plupart des humains. Les
faisceaux lumineux de nos frontales étirent des ombres fantasmagoriques sur les
parois de la caverne. Un instant je projette l’imaginaire de nos lointains
ancêtres découvrant ces lieux, et souris à l’image d’Epinal de nos livres
d’enfance où l’homme préhistorique habitait ces lieux. Comment si cela eut été
possible ? Espace d’une obscurité absolue, humide et inconfortable, et de
toute façon cette grotte est active (entendez par là inondable). Pour nos
ancêtres, sans doute abritait elle les esprits. Quelques chamans téméraires s’y
retrouvaient, accompagnées des premiers artistes pour, peut-être, inventer les
religions.
Par une sorte de connexion avec la
terre, serions-nous aussi touchés par l’énergie du lieu ?
Nous poursuivons notre progression...
Cachée derrière une concrétion, une chauve-souris
dort la tête à l’envers. Puis, fixée dans un recoin de la paroi rocheuse, une
improbable plaque mortuaire en hommage à Guy, décédé ici il y a longtemps,
égaré dans les ténèbres. Pour une minute nous éteignons nos lampes et sombrons
dans une obscurité totale. Un noir absolu, annihilant tout repère visuel et
temporel. Nous sommes littéralement enterrés vivants. Imaginer l’errance de ce
gars, des jours durant sans plus aucun autre repère que sa conscience, et la
souffrance de son agonie, prostré, me glace le sang.
Nous rallumons nos lampes et
poursuivons notre avancée en rampant dans l’étroit boyau. Serait-ce un trait de
lumière que nous apercevons ?
Devant nous la sortie. Nous débouchons
sur un petit balcon à flanc de falaise. Trente-cinq mètres de verticalité
jusqu’au tapis d’humus de la forêt.
Nous allons descendre en rappel.
Jean-Louis prépare l’équipement de cordage tandis que nous enfilons les
baudriers. Peu de mots échangés et beaucoup de concentration pour ne pas faire
de bêtises. « Safety first ! » Seul bruit artificiel dans cette
nature sauvage, le rassurant cliquetis des mousquetons. Inutile d’en rajouter.
Rien d’autre à faire que de nous adapter à cet environnement préservé. Nous ne
sommes que de modestes et fragiles visiteurs de passage.
Toutes vérifications faites, Jean-Louis
s’engage le premier, puis Flo, tout sourire, avant que Didier et moi ne
l’imitions.
La sensation de descente accroché à un
fil d’araignée est toujours magique. Où l’on éprouve d’une manière unique la 3ème
dimension, dans une sorte d’apesanteur éphémère dont l’un des maîtres mots est
confiance : confiance en soi, en ses équipiers, en le matériel.
Et déjà c’est fini.
Tout juste sortis des entrailles de la
terre, nous retrouvons le rassurant sous-bois et poursuivons notre remontée du
cours du Pontet. Le roulement de l’eau distille sa
petite musique apaisante, tandis qu’en cette mi-journée gazouillent les
oiseaux. Fermer les yeux et l’on croit entendre l’enregistrement d’une musique
Zen, sauf qu’ici l’immersion est réelle et totale.
Puis la musique devient plus grave.
Presque rauque. Et le sentier débouche sur une vaste cavité au pied de la
falaise d’où jaillit la rivière toute entière dans un festival de gerbes d’eau.
Sorte de feu d’artifice aquatique sortant de la gueule grande ouverte d’un
dragon cracheur d’eau. L’impression de puissance est unique. L’air et la terre
vibrent à l’unisson de cette dynamique naturelle, alliances de forces
telluriques réunies à cet endroit singulier où l’on se sent vraiment connecté
avec elles. L’instant est juste parfait. De ceux que l’on aimerait immortaliser
pour venir y puiser de temps en temps un peu d’énergie vitale, loin du tumulte des
activités humaines sous la pression constante du résultat.
Ici tout n’est qu’équilibre brut. Laisser faire les choses de la nature et en apprécier la beauté.
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