Arrivés à Moscou nous connectons pour
le Grand Sud vers Krasnodar sur Aeroflot. Il est déjà plus de 22h en heure
locale et pourtant l’aérogare reste bondée de milliers de gens emmitouflés dans
leurs tenues d’hivers alors qu’il fait si chaud à l’intérieur.
Le temps d’avaler une assiette de sarrazin
accompagnée d’un petit pilon de poulet et nous revoilà partis pour 3 heures de
vol.
...
L’arrivée sur les petits aéroports de
campagne en Russie en hivers a toujours le charme particulier d’une descente de
l’avion sur le tarmac enneigé où la froideur vous saisit sans transition. Au zénith
la demi-lune diffuse sa lumière argentée dans un ciel d’encre piqueté d’étoiles.
J’enfile avec plaisir bonnet de laine et gants en montant dans un bus déglingué pour me
serrer contre les autres voyageurs emmitouflés dans de grands manteaux à
capuches fourrées.
Il est une heure et demie du matin quand,
les yeux rougis, nous rejoignons enfin notre hôtel.
…
Nous roulons vers l’Est depuis plus d’une
heure sur une large plaine de terre noire gelée recouverte de neige. Ciel indigo
et lumière crue d’un soleil glacial donnent au paysage d’enchanteurs reflets cristallins.
Dehors il fait moins 10°. Devant nous le ruban d’asphalte rectiligne et brillant
se perd sur l’horizon.
Comme sortie d’un conte d’Alexandre
Pouchkine, de nulle part apparaît sur notre gauche une extraordinaire église
Orthodoxe, imposant édifice baroque surplombé de six dômes dorés parfaitement
brillants, quatre entourant en carré d’un des deux plus importants. Vision
juste magique à l’incroyable pouvoir d’attraction qui immanquablement nous
invite à un petit détour, histoire de contempler de plus près la majesté du
lieu de culte.
Devant la porte d’entrée un sapin de
Noël joliment décoré. A l’intérieur, le décor chargé de monumentales enluminures dorées impressionne le visiteur,
imposant la modestie préalable à la prière.
…
La journée se termine au restaurant
du village où nous sommes invités.
C’est mardi et pourtant les clients entrant
en même temps que nous dans l’établissement semblent sur leur 31. Quelques
notables à l’évidence. On laisse les manteaux au vestiaire avant d’accéder à la
salle principale derrière un lourd rideau protégeant des courants d’airs
glacials.
Surprise, une très longue table y est
installée autour de laquelle s’agitent de nombreux convives tous endimanchés.
Dans un coin est installée une imposante sono derrière laquelle un couple d’animateur
très kitch fait chauffer l’ambiance. Nous nous asseyons sur une table
rectangulaire au coin de la salle, laissant tout l’espace disponible pour la
fête. On nous explique qu’il s’agit d’un anniversaire. Sont rassemblées ici une quarantaine
de personnes de tous âges pour fêter une dame accoutrées d’une robe satinée verte
moulant ses formes généreuses, longue étole de mousseline ton sur ton posée sur
les épaules qui lui donne une allure de gros bonbon. Difficile de lui donner un
âge : 45 ans peut-être.
Il y a là quelques anciens tous secs
et ridés, des quinquas à l’embonpoint marqué, des quadras rangés, quelques
jeunes couples avec d’adorables gamins turbulents – petites filles habillées
comme des princesses faisant tourner les volants de leurs jolies robes – des jeunes
filles en fleur en mini-jupes et talons aiguille lançant œillades de curiosité et
fou rires dans notre direction, bref, toutes les générations réunis autour de
la dame en vert.
La soirée commence par de gentilles
chansons populaires Russes reprises en cœur entre les plats. Du coup impossible de discuter avec nos clients tant l’ambiance s’échauffe rapidement aidée
par les rasades de vodka. Et d’ailleurs un des convives, peut-être le papa,
nous offre spontanément une bouteille, histoire de nous mettre dans l’ambiance,
ce qui ne tarde pas en effet. Après 3 cul-secs du puissant spiritueux, de
spectateurs nous glissons dans la peau d’invités, frappant des mains à défaut
de pouvoir chanter en Russe ; quoi que…
Le temps s’écoule agréablement,
oubliant pour un moment que nous sommes là pour les affaires, touchés par
le cœur de ces Russes capables de fêter sur semaine un anniversaire comme une
noce.
Et de me dire qu’il y a belle lurette que nous avons oublié d’en faire
autant chez nous, sous la pression d’un quotidien envahissant au point de ne
pouvoir envisager ces moments de plaisir et de chaleurs humaine gratuite que
dans le cadre très précis du week-end. Et encore.
Pourtant, s’ils avaient raison ?
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