lundi 30 décembre 2013

Le mardi c'est permis



Arrivés à Moscou nous connectons pour le Grand Sud vers Krasnodar sur Aeroflot. Il est déjà plus de 22h en heure locale et pourtant l’aérogare reste bondée de milliers de gens emmitouflés dans leurs tenues d’hivers alors qu’il fait si chaud à l’intérieur.
Le temps d’avaler une assiette de sarrazin accompagnée d’un petit pilon de poulet et nous revoilà partis pour 3 heures de vol.
...
L’arrivée sur les petits aéroports de campagne en Russie en hivers a toujours le charme particulier d’une descente de l’avion sur le tarmac enneigé où la froideur vous saisit sans transition. Au zénith la demi-lune diffuse sa lumière argentée dans un ciel d’encre piqueté d’étoiles. J’enfile avec plaisir bonnet de laine et gants en montant dans un bus déglingué pour me serrer contre les autres voyageurs emmitouflés dans de grands manteaux à capuches fourrées.
Il est une heure et demie du matin quand, les yeux rougis, nous rejoignons enfin notre hôtel.
Nous roulons vers l’Est depuis plus d’une heure sur une large plaine de terre noire gelée recouverte de neige. Ciel indigo et lumière crue d’un soleil glacial donnent au paysage d’enchanteurs reflets cristallins. Dehors il fait moins 10°. Devant nous le ruban d’asphalte rectiligne et brillant se perd sur l’horizon.
Comme sortie d’un conte d’Alexandre Pouchkine, de nulle part apparaît sur notre gauche une extraordinaire église Orthodoxe, imposant édifice baroque surplombé de six dômes dorés parfaitement brillants, quatre entourant en carré d’un des deux plus importants. Vision juste magique à l’incroyable pouvoir d’attraction qui immanquablement nous invite à un petit détour, histoire de contempler de plus près la majesté du lieu de culte.
Devant la porte d’entrée un sapin de Noël joliment décoré. A l’intérieur, le décor chargé de monumentales enluminures dorées impressionne le visiteur, imposant la modestie préalable à la prière.
La journée se termine au restaurant du village où nous sommes invités. 
C’est mardi et pourtant les clients entrant en même temps que nous dans l’établissement semblent sur leur 31. Quelques notables à l’évidence. On laisse les manteaux au vestiaire avant d’accéder à la salle principale derrière un lourd rideau protégeant des courants d’airs glacials.
Surprise, une très longue table y est installée autour de laquelle s’agitent de nombreux convives tous endimanchés. Dans un coin est installée une imposante sono derrière laquelle un couple d’animateur très kitch fait chauffer l’ambiance. Nous nous asseyons sur une table rectangulaire au coin de la salle, laissant tout l’espace disponible pour la fête. On nous explique qu’il s’agit d’un anniversaire. Sont rassemblées ici une quarantaine de personnes de tous âges pour fêter une dame accoutrées d’une robe satinée verte moulant ses formes généreuses, longue étole de mousseline ton sur ton posée sur les épaules qui lui donne une allure de gros bonbon. Difficile de lui donner un âge : 45 ans peut-être.
Il y a là quelques anciens tous secs et ridés, des quinquas à l’embonpoint marqué, des quadras rangés, quelques jeunes couples avec d’adorables gamins turbulents – petites filles habillées comme des princesses faisant tourner les volants de leurs jolies robes – des jeunes filles en fleur en mini-jupes et talons aiguille lançant œillades de curiosité et fou rires dans notre direction, bref, toutes les générations réunis autour de la dame en vert.

La soirée commence par de gentilles chansons populaires Russes reprises en cœur entre les plats. Du coup impossible de discuter avec nos clients tant l’ambiance s’échauffe rapidement aidée par les rasades de vodka. Et d’ailleurs un des convives, peut-être le papa, nous offre spontanément une bouteille, histoire de nous mettre dans l’ambiance, ce qui ne tarde pas en effet. Après 3 cul-secs du puissant spiritueux, de spectateurs nous glissons dans la peau d’invités, frappant des mains à défaut de pouvoir chanter en Russe ; quoi que…

Le temps s’écoule agréablement, oubliant pour un moment que nous sommes là pour les affaires, touchés par le cœur de ces Russes capables de fêter sur semaine un anniversaire comme une noce. 
Et de me dire qu’il y a belle lurette que nous avons oublié d’en faire autant chez nous, sous la pression d’un quotidien envahissant au point de ne pouvoir envisager ces moments de plaisir et de chaleurs humaine gratuite que dans le cadre très précis du week-end. Et encore.
Pourtant, s’ils avaient raison ?

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