dimanche 24 août 2025

Un vendredi soir à Roissy - CDG

 

Vendredi soir. Comme tous les jours l’aéroport de Roissy Charles De Gaule vibre comme si le monde s’y donnait rendez-vous avant de s’éparpiller à nouveau dans les airs. 
Sous les voûtes de verre et de métal, l’air chargé d’un mélange de parfums, de sons et d’attentes suspendues. Et tous les panneaux lumineux qui déroulent leurs ailleurs : New-York, Pékin, Johannesburg, Brasilia, Séoul, Singapour… Chaque destination s’affiche comme une invitation au rêve. Chaque numéro de vol comme une promesse. Sous la nef, comme celle d’une cathédrale, les voyageurs lèvent les yeux vers ces constellations électriques telles des navigateurs vers les étoiles.

Dans les files devant les comptoirs d’enregistrement, on devine des vies entières : costume fatigué d’un homme d’affaire en partance, éclats de voix d’une famille aux valises trop pleines, complicité d’un couple en route vers sa lune de miel… Dans les allées le sol résonne du concert de roulettes qui donnent le tempo à cette chorégraphie planétaire. Les haut-parleurs scandent leur « last call » comme des incantations. Et dans toute cette agitation on rit, on soupire, on s’exaspère.

Vers les salles d’embarquement le scintillement des boutiques, où brillent parfums, chocolats et bouteilles comme des trésors. 
Mais c’est derrière les larges baies vitrées que l’émotion se concentre. A l’extérieur, dans le soir tombant sur le tarmac, le ballet parfaitement réglé de la logistique au sol et des avions dont les fuselages captent les dernières lueurs du soleil. Et leurs dérives multicolores aux couleurs du port d’attache. 
Chaque décollage, rythmé tels des étoiles filantes par les feux clignotant des avions, est un élan qui emporte avec élégance les rêves murmurés dans l’aérogare.

De l’autre côté, dans le hall des arrivées, l’air chargé d’attente où les regards se fixent sur la porte automatique, comme sur une scène où les êtres aimés vont enfin réapparaître. Et lorsque que paraissent enfin les silhouettes familières, les sourires, les étreintes, l’émotion palpable des retrouvailles.

Ainsi va la vie le vendredi soir à l’aéroport Roissy-CDG. Et moi je rentre à la maison.



jeudi 21 août 2025

Saïgon la trépidante

En arrivant à Saïgon la chaleur tropicale, épaisse, moite, vous enveloppe. Elle entre en vous, se glisse dans chaque pore de la peau, collante comme un teeshirt mouillé. Ici on ne respire pas seulement l’air, on l’avale, le mâche. Et dans ce bain tropical, la ville dévoile son animation trépidante, infatigable, vibrante comme un grand corps qui n’aurait jamais besoin de sommeil.

Sur les larges avenues, comme dans les ruelles étroites où l’ombre se faufile entre les murs, déferle sans fin le flux des motos. D’innombrables deux-roues, bourdonnant comme des essaims d’abeilles. On frôle, on zigzague, on devine la trajectoire de l’autre. Et pourtant, de cette apparente anarchie naît une étrange harmonie. Le chaos devient ballet. Le tumulte devient musique. Les klaxons sont des notes dans une partition improvisée.
Sur ces selles s’écrit la vie quotidienne de ce pays en pleine transformation : une famille entière sur la même machine, une montagne de fruits ficelées au porte-bagages, une échelle accrochée sur le côté. Tout est transportable. La moto est l’âme de Saigon : rapide, multiple, fluide.

Les grandes avenues brillent de mille sun lights, traversées de néons, de vitrines scintillantes, d’hôtels aux façades prétentieuses. Mais il suffit de tourner dans une ruelle pour basculer dans un autre univers : de minuscules boutiques vendant toutes les mêmes sandales, les mêmes tissus, les mêmes ventilateurs.
Et à chaque coin de rue des effluves de cuisine titillent vos papilles. La street food n’est pas un simple repas, elle est la respiration même de la ville : dans la fumée bleue des grillades, dans le bouillon parfumé d’une soupe, dans la dentelle croustillante d’un beignet.
Les odeurs se mêlent, se superposent : coriandre, citronnelle, caramel, piment rouge.
Et l’on s’assoit sur ces petits tabourets en plastique crasseux, au ras du trottoir, au bord du flot des motos comme devant la scène d'un grand théâtre. Manger dans la rue, c’est communier avec la cité. 

Au détour de ses méandres, on finit par croiser le grand fleuve Dong Nai. Large, presque impassible. Ses berges bruissent de vie, ses flots portent encore des jonques de bois, silhouettes presque anachroniques ballottées par les sillages des navires commerciaux. Ici, le passé et le présent se mélangent au gré des courants. 

Et dans tout cela, les visages. Les regards. Les sourires. Comment ne pas être saisi par cette gentillesse, cette douceur qui se dégage des Saïgonnais ? On pourrait croire qu’un peuple meurtri par tant de guerres porterait sur lui le poids de la rancune. Mais non. De la colonisation française à la guerre civile, des bombes américaines aux déchirements politiques, les cicatrices se sont muées en résilience.
Le sourire vietnamien n’est pas une politesse de façade, il crée un lien indéfectible avec ce peuple. 



mercredi 20 août 2025

... comme au ciel !

 
À bord du bel A350, nous filons vers Hanoï. Trente-trois mille pieds, dans un azur limpide. L’air semble nous appartenir. Loin sous l’appareil, quelques nuages bourgeonnent, comme des massifs de coton flottant paresseusement au-dessus de la mer Noire. Leurs ombres glissent sur les flots, dessinant d’éphémères continents imaginaires qui s’effacent au gré du vent. Le tumulte des hommes est loin. Seul demeure le souffle des moteurs qui propulse la machine à près de neuf cents kilomètres à l’heure.
Vu d’ici, le monde paraît tellement plus beau. Les blessures terrestres disparaissent sous l’harmonie des formes. Les cicatrices des villes, les routes encombrées, les brouhahas et tensions géopolitiques se dissolvent dans une perspective élargie. C’est peut-être cela le véritable privilège du vol : changer d’échelle, prendre de la hauteur,  et découvrir que là-haut la beauté l’emporte sur le chaos.

J’ai toujours aimé voler. Les avions sont pour moi des machines à rêves. Ils adoucissent le monde en donnant à chacun la possibilité de se hisser au-dessus des frontières, des distances, et parfois même des peines. Ils offrent une échappée hors du quotidien, une promesse d’ailleurs, un frisson d’infini.
J’ai donc aussi appris à voler pour le plaisir, sur des appareils légers. Pas de sièges inclinables, pas d’écrans individuels ni de cabines pressurisées. Seulement une verrière, un cockpit exigu, quelques cadrans, et l’air.
Le premier vol solo demeure gravé comme une initiation. Le moteur vrombit, l’herbe de l’aérodrome défile, et soudain, un frisson : les roues quittent la terre. À ce moment précis une frontière invisible est franchie et tout devient possible. La sensation est incomparable. La machine réagit au moindre geste. Le manche, les palonniers, tout semble prolonger le corps. Dans une incomparable sensation de liberté, on vire, on monte, on descend, comme si l’on dessinait soi-même les lignes invisibles du ciel. L’horizon se déploie à 360 degrés, les perspectives se dilatent tandis que le monde se contracte sous vos pieds.
Ce qui m’a toujours fasciné dans le vol n’est pas seulement la technique, mais avant tout la liberté qu’il procure. Aller d’un point à un autre par le chemin le plus court. La ligne droite, pure et simple, comme une vérité élémentaire. Ou bien simplement zigzaguer au gré de sa fantaisie dans l’air du matin.
Voler, c’est aussi se détacher du temps. Là-haut, les minutes s’étirent différemment. Le ciel n’a pas d’horloge ; il se mesure en luminosités changeantes, en nuages qui naissent et s’effilochent, en vents qui caressent ou bousculent. Et puis il y a la part du rêve. Passer au-dessus d’un relief, longer une côte découpée, survoler des fleuves et vallées… 

Chaque vol est un récit, une épopée miniature où le pilote se fait conteur de paysages. Et le ciel n’est pas seulement un espace physique, mais un état d’âme. C’est là que l'on retrouve, peut-être, une part d’éternité.


vendredi 15 août 2025

Du maelstrom aux forces telluriques...

Nous poursuivons notre pérégrination vers l’ouest, longeant le littoral breton comme on suit un fil d’Ariane gravée dans la roche. À chaque détour le paysage s’ouvre, dévoilant des perspectives à couper le souffle. Les abers apparaissent soudain, estuaires intimes où l’océan, d’une limpidité parfaite, telle une respiration profonde, va et vient au gré des marées. Les eaux se parent de vert émeraude ou d’acier, reflétant un ciel changeant, tantôt doux et ouaté, tantôt sombre et tourmenté.
Une force invisible nous attire. Ce n’est pas un simple cap géographique, mais comme si une boussole intérieure nous guidait vers un bout du monde. Le chemin nous mène naturellement jusqu’au phare du Conquet, dressé à la pointe ultime du continent européen. Sa silhouette massive et immobile semble immuable, tandis qu’à ses pieds l’océan compose des arabesques mouvantes, puissants maelströms éphémères dessinant de fascinants tourbillons, comme pour signifier qu’ici s’arrête le monde des hommes et commence celui des océans et leurs mystères.
Le regard se perd dans l’horizon. Au-delà, l’Amérique se cache derrière des milliers de milles marins. On essaie d’imaginer nos lointains ancêtres face à cette immensité. Que pouvaient-ils bien concevoir ? Voyaient-ils une frontière infranchissable ou la promesse d’un ailleurs ? Les vagues, en se brisant, semblaient-elles porter des messages d’îles invisibles ou d’êtres fabuleux ?
Pour tenter de comprendre, nous décidons de rendre visite aux esprits de ces hommes et femmes d’un autre âge. Direction Carnac, dans l’intérieur des terres, où l’histoire ne se lit pas dans des livres, mais dans la pierre. Les alignements de menhirs se dressent là depuis des millénaires, figés comme une armée silencieuse dans de vertigineuses perspectives. Et les dolmens, tels des portes vers d’autres mondes, signaux adressés à l’univers ou aux esprits.
Dans le vent qui court entre les pierres, on croit percevoir un souffle ancien. On devine la ferveur de ceux qui, bien avant nous, cherchaient à dialoguer avec l’invisible, à inscrire leur passage dans l’éternité. 

Entre force tellurique et appel insondable de l’océan, la Bretagne nous aura enchanté de sa nature exceptionnelle


mercredi 13 août 2025

Dentelle Bretonne

La côte nord de la péninsule se plisse et se replie comme une dentelle sur l’Atlantique. Chaque avancée de granit mord la mer, chaque anse en retient l’onde. La roche dessine des arabesques, ourlées de mousse, comme si le temps avait brodé pierre par pierre un col somptueux à la Bretagne.
Entre deux caps, des criques émeraudes s’ouvrent comme des secrets. L’eau y dort parfois, d’un vert profond, jusqu’à ce qu’un rayon s’y glisse et l’allume de lumière vive. 
Plus loin, les brisants éclatent, blancs et rageurs, contre des pointes noires. Leur grondement se mêle au souffle du vent, vaste et libre. 
Dans les anses, de petites grèves de sable blanc se nichent, comme si la mer avait oublié là quelques éclats d’été.
Le ciel, ici, n’est jamais le même deux fois. Les nuages se gonflent en choux-fleurs aux reflets dorés, et l’océan devient une toile mouvante, peinte de gris ardoise, de bleu roi, de vert de jade. Les contrastes se succèdent, brusques, comme les humeurs de ce pays.
À quelques pas de la mer, la terre se découpe en parcelles serrées, bordées de murets de pierre sèche où s’adossent de somptueux massifs d’hortensias. Boules bleues, roses ou blanches, gonflées de sel et de lumière, elles apportent au granit une tendresse inattendue. Aux entrées des villages, aux carrefours anciens, ou sur des promontoires battus par le vent, des croix de granit érigées, solides et silencieuses. Gardiennes du temps et du temple, elles veillent sur la mémoire des lieux et sur ceux qui passent.
Les villages, eux, se dressent comme des forteresses : maisons de granit aux toits sombres, alignées pour défier les bourrasques et protéger les leurs. Les gens d’ici portent la marque de cette nature. Ce pays les a rendus résistants, parfois rebelles, mais fidèles à ceux qui gagnent leur confiance.
Et puis, il y a la route. Ce ruban qui longe l'océan, s’accroche aux corniches et s’enroule autour des caps. Chaque virage ouvre une nouvelle fenêtre : phare planté dans l’écume, plage fine comme un sourire, pointe qui fend l’horizon. On y roule comme on respire : avec l’envie de voir ce qui vient après, avec la certitude que chaque détour est une promesse.


mardi 12 août 2025

Sur la route

Partir en van, c’est franchir un seuil invisible. On quitte le quotidien pour glisser vers une dimension parallèle où les aiguilles de l’horloge semblent ralentir. D’abord, il faut réapprivoiser le véhicule : trouver où poser la cafetière pour qu’elle ne bascule pas dans les virages, ranger les objets pour qu’ils ne sonnent pas trop sur les bosses de la chaussée et les retrouver à portée de main. Et n’emporter que le nécessaire, rien que le nécessaire. 
 
Le moteur ronronne, une vibration rassurante se propage dans l’habitacle, il est temps de partir.
Les premiers kilomètres gardent encore un parfum d’habitude : on vérifie la route, on pense à la prochaine étape. Puis, presque sans s’en apercevoir, on glisse dans un autre rythme… ou plutôt dans un non-rythme. La vitesse n’est plus une contrainte mais une respiration. Chaque virage ouvre une scène nouvelle : un champ d’herbes hautes qui ondule, un hameau endormi aux volets entrouverts, l’éclat argenté d’une rivière qui serpente sous les arbres, l’horizon irisé de l’océan. Chaque arrêt devient une halte sensorielle. On coupe le moteur et le silence prend toute la place, juste troublé par le chant des oiseaux, l’écoulement d’un ruisseau ou le souffle du vent dans les branches. On s’assoit sur le marchepied, un mug entre les mains, et on se laisser aller à ne rien faire d’autre. L’odeur de terre humide après une averse,  la chaleur du soleil sur le ruban d’asphalte, l'air iodée de la corniche, la texture rugueuse du bois d’une table de pique-nique.

Le voyage devient une parenthèse. Les contraintes disparaissent. Les horaires se dissolvent. On dort quand la nuit tombe, on mange quand la faim se fait sentir. Le monde semble s’élargir depuis ces quelques mètres carrés sur roues. Paradoxe étonnant qui libère l’esprit : l’espace intérieur se dilate, le temps se fait fluide. On n’empile plus les minutes, on accumule les instants.
Dans cette bulle roulante, le présent devient souverain. On s’émerveille d’une lumière dorée de fin de journée ou de l’ambiance d’une place de village. Il n’y a plus de “demain” ni “d’après”, juste un “maintenant” que l’on étire au maximum.

 



mercredi 6 août 2025

Pompe à feu !

 

S’approcher de l’auto est déjà une émotion. Ses formes à la fois tendues et galbées sont une invitation au péché. Ouvrir la porte et se faufiler dans le baquet est déjà un passage à l’acte. L’odeur de la machine m’envahit, à la fois brute et sensuelle. Celle des vieux cuirs et des hydrocarbures millésimés. Effleurer le volant en bois avec les gants de course, le regard capté par tous les compteurs ronds du tableau de bord d’un autre âge, tels des montres précieuses à la vitrine d’un horloger.
Tourner la clé, activer la pompe à essence, donner deux coups sur l’accélérateur et presser le bouton « start » ! Le petit déclic net qui précède le réveil de la bête, puis le grondement brutal, assourdissant, annonçant la personnalité sauvage de la machine tandis que les aiguilles des paramètres moteurs se stabilisent. Le gros V8 Ford de 5 litres, gavé par le carburateur quadruple corps, déchire soudainement le calme de l’atelier de ses borborygmes viscéraux à faire vibrer même les plus indifférents aux émotions mécaniques.
Pied gauche sur l’embrayage très dur, j’enclenche la première, savourant la fermeté de la boîte mécanique, précise, sèche, sans concession. 
À peine relâchée la pédale d’embrayage très directe, la Ford Cobra Shelby Daytona 1964 bondit en avant avec une agressivité palpable. Le moteur au couple énorme ne demande qu’à grimper rageusement dans les tours, chaque rotation de l’aiguille du compte-tours s'accompagnant d’un grondement puissant à travers les échappements latéraux.
Les passages de vitesse deviennent alors jubilatoires. Le levier court, rigide, parfaitement guidé, transmet sans filtre le mouvement précis de la transmission. Tout comme la direction très directe. Rétrograder pour le plaisir à l’entrée des virages de la départementale, avec juste la pointe d’agressivité nécessaire pour déclencher des explosions sonores accompagnées de gerbes de flammes bleutées jaillissant latéralement, spectacle brut et fascinant illuminant la route dans la pénombre tombante.
La rigidité exceptionnelle du châssis tubulaire en acier chromoly s'affirme à chaque courbe, offrant une tenue de route sans faille pour un pilotage incisif, nerveux, exaltant. Les suspensions très fermes équipées d’amortisseurs réglés pour la performance me renvoient directement toutes les aspérités de la chaussée, amplifiant le sentiment fusionnel avec la voiture. Solidement harnaché dans le siège-baquet en cuir noir, je ressens chaque transfert de masse, chaque infime vibration, intimité mécanique dans ce corps à corps avec l’auto. Et j’essaie d’imaginer les sensations ressenties par les vrais pilotes, à 300km/h dans la ligne droite des Hunaudières lors des éditions des 24h du Mans 1964 et 65. Quelle bravoure aussi !
La campagne défile rapidement autour de moi, succession de courbes serrées, de montées et descentes typiques de notre bocage. Le moteur crache maintenant sa puissance sans retenue, les pneus larges crissent à chaque prise de virage audacieuse, tandis que mon cœur accélère à l'unisson de cette ivresse mécanique. Je suis ailleurs. Seul compte alors le plaisir indicible de maîtriser cette machine de légende.