samedi 6 juillet 2024

Aux antipodes

Surabaya, Indonésie. 

Arrivant sur notre salon professionnel, un convoi de voitures noires précédées de motos flashant comme dans une fête foraine s’engouffre sur l’allée principale devant le hall d’entrée. Tous les visiteurs sont immédiatement bloqués par des agents de sécurité prévenants, demandant avec courtoisie de ne pas traverser la rue et d’attendre. Ce que fait calmement la foule sans une protestation.
Déjà plus d’un quart d’heure que nous attendons. Rien ne se passe. A peine entrée dans le hall d’exposition, le vice-Président du 4ème pays le plus peuplé du monde, presque 300 millions d'habitants, entouré d’une cour de militaire décorés comme des sapins de Noël, en ressort et vient s’installer au Starbucks du coin de l’avenue sous une nuée de journalistes. Les visiteurs toujours bloqués de l’autre côté gardent leur calme en observant la scène quelque peu surréaliste.
-    Vous êtes Français ? me demande en anglais une jeune femme blonde, dans un ensemble veste pantalon coordonné au vert de ses yeux et chaussée de Stan Smith.
-    Comment le savez-vous ?
-    Vous avez l’air tellement Français, et c’est indiqué sur votre badge.
-    Evidemment… Et vous ?
-    Australienne.
-    Vous êtes là pour affaire je suppose.
-    Tout comme vous j’imagine. Nous sommes dans les technologies de traitement de l’eau, et vous ?
-    La génétique des crevettes.
-    Ah oui, Blue Genetics. Vous êtes sponsor de l’évènement.
-    En effet…
-    Je peux vous poser une question ?
-    Je vous en prie…
-    Que se passe-t-il chez vous en France ?
-    A quel point de vue ?
-    Politique évidemment…
-    Cela vous intéresse ?
-    On en parle chez nous et sur les réseaux sociaux. Votre pays merveilleux (je site exactement ses propos), celui des libertés et des droits de l’Homme, qui semblait pouvoir échapper aux pires populistes…
-    Que voulez-vous savoir ?
-    Ce qui se passe…
-    Là il nous faudrait plus que deux minutes. Mais disons que les gens ont oublié leur chance de vivre en France et que le pouvoir a fait quelques maladresses.
-    Mais qui n’en fait pas ?
-    Vous avez raison. Une distance s’est creusée entre nos gouvernants et les gens qui semblent les rejeter.
-    Les rejeter pour quoi ?
-    Pour ce qu’ils n’ont pas encore essayé, mais dont ils ne semblent pas avoir conscience. Cela me rend malade… Beaucoup de régimes fascistes sont arrivés aux commandes démocratiquement pour ensuite, insidieusement, renier sur les libertés individuelles et installer des pouvoirs autocratiques. Et il est alors trop tard.
-    C’est vrai que la période est particulière. Vous avez vu ce qui se passe aussi aux Etats-Unis. Effrayant ! (C’est toujours elle qui parle). Il faut que Biden sorte du jeu au profit d’une femme.
-    Vous pensez à Kamala Harris ?
-    Non, à Michèle Obama !
-    Je ne l’avais pas imaginé. Mais vous avez raison, elle balayerait probablement Trump et la politique étrangère, notamment, en serait grandement changée…
De l’autre côté de l’avenue ça semble bouger un peu. Le vice-Président s’est levé et finit par repartir, empruntant ostensiblement le tapis rouge déroulé jusqu’à sa voiture. Le convoi repart.
-    J’ai été ravie de bavarder avec vous.
-    Moi aussi. Bonne journée !

Nous pouvons rejoindre le hall. La vie reprend son cours comme si de rien était.
Marchant vers notre Stand parfaitement placé, je me demande pourquoi, presque partout dans le monde, les hauts représentants de l’état semblent tellement sur une autre planète dans leurs déplacements sur le terrain. Certes, il y a des contraintes logistiques et de sécurité. Mais tout de même. Cette distance…

 

lundi 1 juillet 2024

Le virage 4

Au bas de la montée, l’Alpine retenue par une petite cale placée derrière la roue arrière gauche au bout d’un manche à balais tenu par un commissaire de piste, je regarde les doigts du starter égrenant les 5 dernières secondes. Régime calé à 3000 tours, la voiture ne demande qu’à bondir. 

Trois, deux, un, c’est parti ! Première jusqu’ en zone rouge, deuxième puis troisième à fond dans le léger droite. En ligne de mire les bottes de paille annonçant le premier virage serré du même côté. Sur les freins je repasse en deux pour ré-accélérer à fond en appui, roue avant droite sur la corde. La courbe n’en finit pas pour enfin se desserrer sur une brève ligne droite. Troisième à fond. Levé de pied sur le même rapport pour attaquer le gauche à 90° plein gaz et bondir sur le prochain virage à droite en léger devers. Délicat. La voiture survire légèrement et le talus n’est pas loin… Replacer toute de suite l’auto à droite de la chaussée pour attaquer correctement le virage quatre, à gauche. Léger coup de frein et de volant pour la mise en appui, tout en rétrogradant rageusement avant d’écraser l’accélérateur en visant le point de corde puis la sortie à l’extérieur de la courbe. A cet instant plus rien n’a d’importance que la trajectoire, ligne imaginaire qui aimante le regard et que l’on voudrait idéale. Pur bonheur quand, dans un crissement de pneus jouissif, la voiture amorce la glisse « parfaite », celle que l’on voudrait prolonger comme un pas de danse à la fois léger et viril, sensation unique de maîtrise de la machine tellement valorisante pour le pilote. Et déjà le virage cinq à angle droit, d’où l’on sort au raz des arbres en troisième, avant de plonger dans la dernière courbe à gauche, là où il faut un gros cœur pour ne pas lever le pied au risque de sortir violemment, et filer jusqu’à l’arriver.

Une minute et dix-neuf secondes d’adrénaline !