Depuis Sault, gravir la pente du Mont-Ventoux à moto est un délice. On démarre de la vallée ensoleillée où, en cette saison, les arbres fruitiers éclatent en bouquets pastels délicats ponctuant les parcelles de terre ocre. Puis la montée s’amorce vers les plantations d’oliviers, avant les champs de lavande et leurs alignements graphiques, stries touffues encore sèches, aux allures de brosses en chiendent, qui n’attendent que la chaleur et le chant des cigales pour prendre une belle teinte argentée avant d’éclore en fleurs de ce bleu-violet unique dont les fragrances puissantes font tourner les têtes.
Dans ce paysage typique de Provence, image d’Epinal des artistes peintres, des auteurs aux accents du Sud, et des cinéastes en ayant repris les sagas truculentes, l’enchainement des courbes a quelque chose de calligraphique. Avec en perspective le sommet de cette montagne pelée dont le sommet immaculé se pare de nuages évanescents comme les décors changeants d’un grand théâtre.
Dans l’intercom, nous dissertons sans réel fil conducteur sur la beauté du monde en cette période particulièrement troublée, quand les leaders des plus grandes puissances semblent jouer aux dés.
- Jusqu’à quand crois-tu que nous pourrons faire de la moto comme ça ensemble ?
- Que veux-tu dire ?
- Jusqu’à quel âge ?
- J’sais pas trop. Aussi longtemps que nous pourrons lever la jambe assez haut pour monter dessus 😊
- Et que nous ayons encore l’équilibre, la force de manipuler la machine, une vue suffisante, … et surtout l’envie.
- Ah oui, tu as raison. L’envie surtout. Car sans elle, tout s’arrête. Comme pour tant de choses.
- Que c’est bon tout de même. Quel plaisir de voyager au contact de la nature et des éléments ! Quelle sensation unique de liberté !
- Alors ? Quel âge ?
- 80 ans au moins…
- 85 ?
- Allons-y pour 85 !
La route serpente maintenant dans la forêt. L’air devient plus frais. Parmi les sapins communs, quelques mélèzes aux ramures légères donnent une touche d’exotisme au paysage. Puis au détour d’un virage, l’horizon se dégage sur une perspective infinie, quand l’horizon de la vallée verdoyante se dilue en mille nuances de gris pour rejoindre le ciel laiteux de fin d’après-midi. Alors l’esprit de nos 60 ans (passés pour moi) s’évade dans une dimension hors du temps.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire