samedi 14 novembre 2009

Une petite pensée pour feu Nicolae...


Zsaka, non loin de la Frontière Roumano-Hongroise.
Le patron de l’hôtel « Angela », petit établissement familial propret où nous sommes descendus, est au p’tit soin en servant une délicieuse « goulache », soupe traditionnelle locale faite d’un mélange de morceaux de légumes, de pates alimentaires et de viande, dans un délicieux bouillon rouge au paprika. Nous n’avons pas mangé ce midi et apprécions doublement ce plat simple dont les saveurs pimentée émoustillent nos papilles.
Zoltan, le patron, est d’une rare prévenance naturelle. Derrière des sourcils broussailleux et grisonnants, sous une tiniasse en bataille, de son visage émane une vraie gentillesse rendue plus touchante encore par son gros nez rougeau et quelque peu boursouflé, de ceux qui ne boivent pas que de l’eau…
Sur le mur près de la table où nous sommes installés, une carte du pays. En suivant du doigt la route empruntée depuis ce matin, je tombe sur Oradea, le poste frontière avec la Roumanie, précisément l’endroit où, il y a 25 ans Franck et moi avions été expulsés manu-militari de Roumanie.

A l’époque entrer en Roumanie était une aventure. Il fallait non seulement un visa, mais aussi acheter pour 10$ par jour de monnaie de singe locale, suivre un parcours imposé par la police, puis s’y tenir rigoureusement en pointant systématiquement aux postes de contrôle des villes traversées. Nous avions 20 ans, et après 3 jours de ce régime pour le moins encadré, dans un pays sinistré par une écrasante dictature, de celle imaginée par Georges Orwell à la fin des années 40 dans son roman d’anticipation « 1984 ». Par pure coïncidence nous étions effectivement bien en 1984, sauf qu’ici Big Brother s’appelait Nicolae Ceausescu, que son système totalitaire alors à son apogée, avait atteint le paroxysme de la dictature : promotion outrancière de la pensée unique, police politique omniprésente, terreur visible de la population, manque de tous les produits de première nécessité, disette, infrastructures délabrées, et j’en passe… Tant et si bien qu’après quelques jours, n’y tenant plus, nous décidions de sortir du parcours officiel pour aller voir ailleurs si l’atmosphère était moins oppressante. Et pendant 2 jours, si mes souvenirs sont exacts, nous sommes partis à travers bois et champs, nous promener sur les chemins de campagne à bord de notre Renault 5 verte. Ce fut un autre choc. Nous étions pourtant bien en Europe continentale à la fin du XXème, mais avions l’impression d’un voyage dans le temps, retour dans nos campagnes telles qu’elles devaient être deux siècles plus tôt : maisons en bois et chaume sur terre battue ; sans eau courante ni bien sûr électricité. Des ruelles boueuses ou milieu desquelles pataugeaient enfants et animaux domestiques. Et tous ces gens habillés de façon traditionnelle qui, à 40 ans, en portaient déjà plus de 60. Dans un anachronisme frappant, nous avions ici l’air de deux hurluberlus revenant tout droit du futur.

L’après-midi du 2ème jour, alors que nous buvions tranquillement une sorte de café local avec des paysans assis au milieu de la cours d’un hameau, dans un bringuebalement de ferraille deux camions militaires s’arrêtent près de notre voiture. Aussitôt repérés nous sommes fermement «invités» à reprendre la voiture encadrés par la troupe. Un camion devant, un camion derrière, nous voilà partis pour on ne sait où, à petite vitesse, sur les chemins de terre.
Après plusieurs heures de conduite, sans savoir le moins du monde où nous allions, nous reprenions une route goudronnée jalonnée de profonds nids de poule pour rejoindre la ville d’Oradea.

Directement conduits au poste nous subissions un interrogatoire serré devant un aréopage de gradés. Heureusement « protégés » par la barrière de la langue nous ne faisions aucun effort de compréhension. Nos passeports tout d’abord confisqués nous sont finalement rendus agrémentés d’un nouveau et très gros tampon officiel rouge vif en surimpression sur le page du visa. Rien de bon qui vaille à priori. Puis nous reprenons la voiture vers le soleil couchant, toujours encadrés des deux camions militaires.
Mirador, barbelés, et partout des hommes en uniforme. Nous sommes finalement conduits à un poste frontière avec la Hongrie. Nouvel arrêt : cette fois-ci un officiel baragouinant 2 mots de français nous signifie notre expulsion immédiate, avec en prime 10 ans d’interdit de séjour en Roumanie ! Inutile de répéter. Nous ne nous sommes pas fait pas prier.
….
5 ans plus tard le mur de Berlin s’effondrait entrainant avec lui la chute des régimes post Stalinien d’Europe de l’Est.
Nicolae et Helena Ceausescu étaient alors renversés, puis exécutés face aux caméras de télévision avant que leurs corps ne soient exhibés comme exutoires de ces années d’oppression.
Sale temps pour les derniers dictateurs Européens et début d’une nouvelle époque.

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