samedi 16 mars 2019

Airport Citizen


Nantes, Paris, Shenzhen, Xi’An, Kunming, Bangkok, Hat Yai, Bangkok, Saigon, Paris…
Les rendez-vous s’enchainent d’une ville à l’autre, comme les escales d’une course à étapes.
Et partout ces gens qui s’affairent, se croisent en s’ignorant, les yeux rivés sur leur smartphone à courir derrière le temps. Comme si le monde n’avait plus d’importance qu’à travers cette petite lucarne déformante qui donne le teint blafard.

Passer d’une saison à l’autre, d’un climat à l’autre, sauter les fuseaux horaires, apprécier de nouvelles cuisines… Changer de langue et de cultures dont les subtilités nous échappent. Perdre la notion d’espace-temps pour ne se concentrer que sur l’action du moment. Tenter de reprendre son souffle pour que le corps tienne la distance, gérer l’éloignement d’avec les siens, et pourtant se dire que l’on a bien de la chance de faire ce boulot.
Vous-vous souvenez de moi ? me lance, tout sourire, un petit homme barbu en me serrant chaleureusement les deux mains.
Devant mon « amnésie » évidente il resitue l’action :
Oui, c’était il y a 10 ans au Pakistan, à l’aéroport de Karachi. Il y avait des émeutes et nous vous avions évacués d’urgence par les sous-terrain sous les terminaux.
Les souvenirs me reviennent alors en bribes : le lendemain de la fête des 10 ans d’activité d’un gros client, des échauffourées avaient démarré avec je ne sais quelle minorité. Quelques coups de feu tirés, des bus utilisés comme béliers ou boucliers par les « rebelles », bref, l’ambiance n’était pas au beau fixe et l’on ne voulait prendre aucun risque avec nous.
Branle-bas de combat, embarquement dans des véhicules militaires – si mes souvenirs sont exacts – et direction l’aéroport.
En arrivant les choses se gâtent. L’accès à la zone internationale est bloqué. On entre dans donc la zone domestic, descendons dans les sous-sols techniques pour ressortir du labyrinthe directement en salle d’embarquement pour Dubaï. Trente minute plus tard l’avion décollait.
Encore hilare au souvenir de cette aventure, le visiteur inattendu me propose un selfie avant de poursuivre son chemin dans allées bondées du salon de Bangkok en lançant un joyeux « see you again soon ! »

Tandis qu’un groupe de Vietnamien débarque sur le stand, des Indonésiens profitent des croissants disposés sur les tables, tout en regardant les jolies vidéos réalisées par notre service marketing. A l’autre bout du stand, des Thaïlandais partagent leur expérience de nos crevettes avec des Indiens, et des Coréens reprennent contact après la fin des embargos liés à la grippe aviaire. Seuls les Chinois fond un peu grise mine suite aux effets dévastateurs de la fièvre porcine africaine sur leurs filières de production.
Partout nos équipes s’affairent pour ne manquer aucune opportunité commerciale. 

Pas de doute, s’il est une région du monde où les choses se passent, c’est bien ici.


samedi 9 mars 2019

" Nous avons conquis le ciel et la terre ! "


En route vers nos nouvelles installations du Shaanxi (Chine), nous dissertons sur la beauté du monde. Ici l’hiver n’a pas encore quitté la campagne balayée par un vent glacial venant de Mongolie. Tout est gris et poussiéreux. Les villages qui ponctuent ces paysages ruraux semblent comme figés, dans l’attente du réveil de la nature.  Et les habitants vaquent à leurs occupations avec la nonchalance engourdie qui siée à la saison.

Toujours agréable de partager ce type de moment avec un coéquipier entrepreneur partageant les mêmes valeurs. S’effacent alors les différences culturelles pour ne garder que la profondeur de l’âme humaine. Il est alors question du plaisir du moment présent remis en perspective sur la flèche de temps qui passe. Rétrospectives et prospectives se bousculent sur la frise chronologique de notre aventure industrielle. Mélange de satisfactions et de déconvenues, toujours stimulé par cette volonté infaillible de construire quelque chose d’utile et pérenne.
Et viennent alors naturellement les discussions sur ceux qui nous gouvernent. Eux aussi animés par leurs grands desseins. Mais quels peuvent-ils bien être ?
Inévitablement m’arrivent en pleine figure le mouvement de Gilets Jaunes toujours d’actualité chez nous, mais aussi les Débats Citoyens organisés par notre jeune Président.
J’argumente avec conviction sur la vigueur de notre démocratie, même si cela pourrait se passer de manière différente. Notamment ces violences verbales et parfois physiques inutiles qui entachent les discussions et nuisent à l’image de la France.
De son côté, mon amis Chinois développe sur l’absence de démocratie en me comptant une histoire singulière.
Elle concerne un ancien « camarade » de classe revu récemment. Ils se retrouvent après plus de 25 ans et se racontent leurs trajectoires de vie. Moment toujours intéressant. Flash-back sur leurs parcours professionnels et personnels dans un monde qui change. Confrontation d’expériences et de valeurs forgées au long des années.
Mon ami de promouvoir avec enthousiasme sa vie d’entrepreneur faite d’engagements dans un monde où la liberté et le respect de l’autre sont des valeurs fondamentales.
Son ancien camarade issu d’une bonne famille pure produit du système Communiste, père vice-ministre, se considérant comme appartenant à l’élite, attaché aux privilèges qui vont avec.
Et mon ami de lui demander s’il ne serait pas temps de réformer un peu le pays en y injectant un peu de démocratie.
Et l’autre de lui répondre : « Nous avons conquis le ciel et la terre, alors il ne peut être question de partager cela avec les autres ! »
Je demande alors à mon ami si nous ne sommes pas un peu dans la caricature.
Pas du tout me dit-il. C’est comme cela que le système marche ici. Bien sûr que « l’élite » au pouvoir fait avancer certaines choses au service de la population. Bien sûr qu’il faut reconnaître que notre pays s’est formidablement transformé. Mais il en est une chose qu’ils ne lâcheront jamais. C’est Le Pouvoir. Dans les années 60 ils l’ont conquis par la force et la terreur. Ils vont tenter de le garder par le paternalisme et le culte de la personnalité ; et ne le partagerons jamais de leur plein grès. Rappelle-toi que notre Président s’est fait nommer à vie.
Je ne peux alors m’empêcher de replonger dans notre contexte actuel français, et repenser aux allégations de certains leaders d’opinions sur les soi-disant menaces pesant chez nous sur les libertés individuelles.
On marche sur la tête ! Nous avons une chance inouïe de vivre dans ce pays et pourrions sans doute faire mieux ensemble en en étant juste un peu reconnaissant, plutôt que de s’envoyer sans arrêt des invectives.