Le
Covid est passé et nous pourrions nous dire que le business a retrouvé une
certaine « normalité », faisant fi des guerres en Ukraine et au Proche
Orient qui ont plongé le monde dans de nouvelles tensions telles que ma
génération n’en a jamais connu. Mais là n’est pas mon propos du jour qui
concerne les voyages d’affaires dont nous avions perdu l’habitude. Avantageusement
remplacés, pensait-on, par les vidéo-conférences et leur extraordinaire compression
de l’espace-temps. Et s’il est incontestable que cela a grandement changé certaines
de nos pratiques, il reste heureusement parfois indispensable de se déplacer en
personne pour aller à la rencontre de clients ou partenaires à l’autre bout du
monde. Car rien n’égale la qualité d’une discussion en face à face. Plus encore
quand il s’agit de travailler avec des personnes de cultures très différentes.
Au
débotté me voilà donc reparti vers New-Delhi pour rendez-vous avec celui que j’appellerai
Rajiv, important client et partenaire. Dix-huit heures de voyage « gate to
gate », dont un long vol de jour. l’A330 d’Air-France et son équipage
étaient parfaits.
Courte
nuit au Shangri-La de Delhi. Nous nous retrouvons autour d’un l’excellent petit
déjeuner. Heureuses retrouvailles entre amis, terme ici non galvaudé quand il
est question de Rajiv. Puis
séance de travail intense en passant à travers la présentation soigneusement préparée
avec le patron de notre division aquaculture qui m’accompagne pour ce voyage. Seulement
8 slides aux mots choisis sur lesquels nous nous arrêtons fréquemment pour
éviter toute incompréhension et tenter d’aligner les points de vue. Et tandis
que nous concluons cette première séquence, Rajiv nous propose tout de go :
-
Et
si nous allions au Taj Mahal ? Nous pourrions continuer à discuter dans la
voiture !
Quelque
peu pris au dépourvu, je me permets de commenter que ce n’est pas la porte à côté.
-
4h
par la route. Et nous y allons avec mon minibus tout confort, précise-t-il en
se levant sans l’ombre d’une hésitation. Nous pourrons continuer de travailler…
Nous
voilà donc parti, dans un très beau van Mercedes aménagé en petit salon, vers le
sud en direction d’Agra.
Rouler
en Inde est une aventure à haut risque tant les obstacles imprévus sont nombreux :
sur des routes approximatives, véhicules de toutes sortes, en tous sens, dans
un concert de klaxon et d’appels de phares. Sans oublier les piétons inopinés,
comme si, dans le flot du trafic, ils se croyaient protégés par je ne sais quel
talisman… Stressant et fatiguant, encore plus quand il s’agit de rester
concentrés en poursuivant l’échange professionnel aux enjeux importants.
Nous
rejoignons Agra d’une traite en fin d’après-midi. Il était temps. Je suis un
peu nauséeux avec une forte envie de soulager ma vessie. L’air frais nous revigore.
Depuis le parking VIP, Rajiv étant aussi élu au parlement Indien, nous nous
rendons à pied vers le mausolée érigé au 17ème siècle par l’empereur
Moghol, Shah Jahan, en hommage à sa défunte épouse morte en couche pour son 14ème
enfants. Travaux titanesques, 24h/24, réalisés en seulement 20 ans par 20 000
ouvriers et artisans.
Bordée
de marchands du temple, une petite avenue nous conduit vers l’entrée sud de l’édifice.
Beaucoup de visiteurs Indiens aux tenues chamarrées. Femmes en sari, Sikhs enturbannés,
musulmans en djellaba, des familles de toutes générations, très peu d’occidentaux.
Tous convergent vers la grande entrée, presqu’un palais aux proportions parfaites.
Couleur ocre et marbre clair, ouvertures en forme d’ogive au-dessus desquelles s’élèvent
une suite de coupoles blanches. Le fronton orné d’extrait de sourates du coran
en incrustation de marbre noir sur blanc. Le tympan de la porte décoré de jade
et autres pierres semi-précieuses. A couper le souffle.
Mais
nous n’avons encore rien vu…
Avançant
vers cette grande porte, le Taj Mahal se dévoile en perspective, telle la
miniature d’un palais des milles et une nuit dans une boule à neige. D’ici il
semble presque petit.
Franchissant
le seuil on entre dans une nouvelle dimension. La ferveur de la foule est aussitôt
perceptible, comme hypnotisée par le mausolée distant de plus de 500 mètres et
dont l’image se reflète dans les longs bassins d’eau parfaitement alignés. Difficile
de faire plus spectaculaire. De part et d’autre du Taj Mahal, en symétrie s’alignent
aux points cardinaux les autres portes du site, toutes aussi majestueuses que
celle que nous venons de franchir. Nous entrons littéralement dans un autre monde,
sans aucun doute la volonté des concepteurs de ce lieu unique aux allures de
paradis.
Portés
par la foule venue visiter l’une des merveilles du monde, nous avançons vers ce
qui ressemble à une grande mosquée persane de celles que l'on trouve à Ispahan ou Samarcande. Chacun s’essaye au meilleur selfie
ou photo de famille comme l’un des souvenirs marquant d’une vie. Beaucoup de
jeunes couples, main dans la main, femmes en tenues traditionnelles aux
couleurs vives et messieurs souvent plus classiques. Des gens de tous âges. Quelques
rares femmes musulmanes emprisonnées dans leurs sinistres abayas et nikabs
noirs.
Nous
approchons doucement du mausolée dont les proportions apparaissent maintenant monumentales.
Tout de marbre blanc, l’édifice est d’une parfaite symétrie sur ses 4 faces :
ouvertures en ogives sous une immense coupole dominant 4 plus petites, flanqué de
4 tours majestueuses. Juste sidérant tant les dimensions pourtant
gigantesques sont parfaites et l’esthétique d’une pureté faite de sophistications
et de sobriété mêlées.
Sobriété
et pureté du marbre blanc.
Sophistication
des formes où les courbes parfaites côtoient la rectitude des symétries.
En
approchant d’avantage, maintenant écrasé par la masse de l’édifice, se révèlent
une multitude de détails où la pierre taillée et polie ressemble à une
dentelle minérale incrustée de marqueterie de jade, améthyste, et autres
minéraux polychromes. A couper le souffle !
Nous
entrons dans l’édifice comme dans une cathédrale. Au centre d’un vaste carré
sous le volume de la coupole monumentale, caché derrière de fines cloisons de marbre
sculptées telles des moucharabiés, les tombeaux du Shah et de sa défunte épouse
à l’origine du chef d’œuvre. Impossible de ne pas s’arrêter quelques instants.
Nous
ressortons sur la terrasse nord dominant la majestueuse vallée de la rivière
Yamuna.
Le
soleil se couche dans un ciel laiteux, halot orangé illuminant le marbre immaculé
de la douceur du soir. Tel un ange, une petite fille habillée d’une tenue de
fée rose traverse la place en sautillant retrouver sa maman, les bras grands
ouverts, au côté d’une vielle dame au regard bienveillant. Je
croise le regard de Rajiv tout sourire. Le moment est parfait. Il a
parfaitement réussi « son coup ».