dimanche 6 décembre 2015

Trail "Meltonic"


Attentifs aux consignes du directeur de course, quelques centaines de petits bonshommes en tenues de sport multicolores trépignent sur la ligne de départ. Il est 18h15 et fait déjà nuit noire. Nous partons pour un trail nocturne, 29 kilomètres dans les coteaux de la Moine, petite rivière qui alimente le moulin de Beau-Rivage d’où nous partons. Il faut dire que cette course, organisée par Benoit Mary, le dynamique créateur de la ligne de produits diététiques du sport, Meltonic, est la première du genre. Benoit est donc dans ses petits souliers pour ce départ au  siège de son entreprise, et les participants impatients de découvrir un parcours inédit.
C’est donc parti pour un peu plus de 3 heures d’effort.
Au signal du starter la petite foule démarre doucement par un large chemin montant le long d’une prairie humide. Très rapidement le groupe s’étire comme un long serpent lumineux, étincelante guirlande de Noël illuminant notre bocage. Je suis d’ici et pourtant déjà ailleurs, perdant rapidement mes repères. Le ciel couvert masque la voute étoilée et quelques gouttes éparses strient les faisceaux lumineux des lampes frontales. Pourvu que ça ne n’empire pas. Je ne suis parti qu’avec un bonnet de laine sur la tête, en réalité la meilleure protection anti-pluie du coureur.
10 kilomètres : nous terminons la première boucle à notre point de départ et laissons un premier groupe de traileurs qui terminent ici. La guirlande s’est maintenant rompue en scintillantes étoiles éparses. Je me retrouve seul dans la nuit d’encre. Il doit rester une vingtaine de kilomètres avant l’arrivée et je n’ai maintenant plus la moindre idée du lieu précis où je me trouve. Suivant le fléchage, mon horizon se limite au faisceau de la lampe frontale, étrange mais agréable sensation de désorientation comme je ne l’avais que rarement ressentis, sauf peut-être lors d’ascension en très haute montagne. 
Le coteau redescend entre les arbres sur la rivière. Attention de ne pas se blesser bêtement. Les ombres générées par ma lampe créent une atmosphère fantasmagorique peuplées d’étranges créatures de la forêt. Je croise le regard immobile d’une chouette posée sur une branche, comme la gardienne éternelle d’un lieu défendu, tandis qu’à quelques mètres un animal détale d’un fourré.

De nouveau au milieu d’une prairie spongieuse, je suis maintenant complètement seul au monde, dans ma bulle, en dehors de l’espace-temps, gérant mon effort avec comme unique objectif l’arrivée. Stimulant des pensées positives, des bouffées d’adrénaline m’envahissent en vague successives déclenchant des frissons de chair de poule, signe précurseur d’un surcroit d’énergie. Que c’est agréable !

Ravitaillement des 20 kilomètres : nous laissons ceux qui s’arrêtent ici. Au pied du moulin d' Ivroreille, dans un halo de lumière orangée donnant une impression de chaleur, des musiciens, des boissons et du pain d’épice arrosé de Meltonic. Je fais le plein et repars pour la dernière boucle de 10 kilomètres. Le parcours remonte entre bois et prairies. Je ne coure plus je « vole », dans un état second provoqué par toutes ces décharges d’hormones dont le corps a le secret. En paix avec moi-même, l’esprit vagabonde au gré de tranches de vie, comme un kaléidoscope où les images se croisent et se superposent sans logique apparente. Et là vous vous dites peut-être qu’il faut arrêter les substances hallucinogènes. Que nenni, inutile d’ingérer quoi que ce soit pour cela (à moins que ce ne soit l’effet de la potion magique de Benoit :)). Dans l’effort, l’alchimie subtile du corps et de l’esprit peut amener à une certaine extase naturelle dont le plus grand bénéfice est, selon moi, celui de la motivation qu’il procure non seulement dans l’instant, mais aussi pour l’avenir… Certains parlent de la force de la méditation que l’on croit souvent être une activité statique. Je suis personnellement tout à fait convaincu que cela marche aussi, et peut-être mieux, en dynamique.

Plus que quelques kilomètres. A vrai dire je ne sais pas combien et cela n’a plus vraiment d’importance. J’ai la sensation de pouvoir continuer encore longtemps. Contrairement à beaucoup je coure sans batterie d’électronique embarquée (GPS, cardio et autre logiciel de monitoring de l’effort) pour privilégier le feeling au calcul, et permettre à l’esprit de s’évader complètement.

Encore un kilomètre indique une bannière, désagréable zig zag dans un petit bois à portée des haut-parleurs de l’arrivée, comme un sas de retour au monde réel.

Franchissement de rivière par une étroite jetée et c’est déjà fini, 3h15 après avoir démarré.



mardi 24 novembre 2015

Maître Chen



Il fait étonnamment tiède pour mi-novembre à Putian. Nous parquons la voiture dans une petite rue connexe à l’avenue principale, large artère poussiéreuse en béton coupant la ville en deux. Un flot ininterrompu de camions chargés comme des cargos klaxonnant à qui mieux mieux tels des navires en perdition, dissuade piétons et scooters électriques de traverser la route. Tout écart de trajectoire des autres véhicules serait aussi fatal. Et je n’ose imaginer les conséquences d’un inévitable accident avec un camion-citerne. Se posera seulement alors la question de contournement de l’agglomération. En attendant le progrès est en marche…

Quelques pas à travers un marché traditionnel, puis nous montons au 3ème étage d’un immeuble crasseux jusqu’à une petite terrasse aménagée en jardin zen où poussent quelques fleurs et légumes de saison. Une coursive nous amène jusqu’à une porte opaque vitrée sous une lanterne rouge traditionnelle où nous entrons sans frapper. Quatre ou cinq bureaux occupent l’espace entre lesquels quelques plantes soigneusement taillées et lustrées s’épanouissent dans d’un désordre organisé : tables couvertes de dossiers où serpentent des spaghettis de câbles électriques. Sur les murs défraîchis, des cadres tamponnés de sceaux officiels à l’encre rouge à nulle autre pareil qu’en Chine, et quelques calligraphies.
Sortant de nulle part, un petit homme affable nous accueille. Nous le suivons dans une petite salle miteuse où il nous invite à s’assoir sur des tabourets autour d’une table à thé ; le lieu de discussion. C’est Maître Chen, notre avocat dans une sombre histoire d’expropriation abusive d’une de nos fermes, où les autorités locales ont envoyées une délégation de gros bras armés de barres de fer et chalumeaux pour intimider notre équipe et dégrader nos équipements. L’affaire avait d’ailleurs fait grand bruit suite au reportage à charge dans le 20h de France 2 le jour d’une visite officielle de notre premier ministre en Chine, histoire de faire pression par la plus haute voie diplomatique pour tenter de résoudre cette affaire. Depuis un procès est en cours, procès où Maître Chen nous défend.
Tout en préparant le thé selon un cérémonial immuable dans le sud de la Chine – chauffage de l’eau, rinçage des tasses tenues à la pince à épiler, premier remplissage de théière puis rinçage, puis de nouveau remplissage avant de verser dans les tasses minuscules le nectar, thé rouge ou vert d’une rare puissance – Maître Chen commence à s’animer. Sous une tignasse brune et épaisse légèrement ébouriffée, ses yeux mi-clos de chien battu dégagent une empathie sincère. Sa bouche expressive, lèvres épaisses laissant apparaître une dentition en bataille lui donne par moment des expressions juvéniles ajoutant encore à la sympathie du personnage. Ses mains aux petits doigts bouffis soutiennent un verbe au débit rapide.
Il nous fait un bref résumé de la situation. Contre toute attente, et malgré notre bon droit, nous avons perdu le procès en première instance. Cela était inévitable compte tenu des relations d’amitié entre le juge et les autorités locales, donc « normal ». Il s’agit maintenant de continuer la procédure vers de plus hautes sphères pour obtenir gain de cause. En attendant les pressions mafieuses se sont « normalement » arrêtées, car cela devient trop dangereuses pour les protagonistes. Nous pouvons donc continuer à travailler. Bref, tout est « normal ».
Je souris en constatant une fois encore, qu’ici nous sommes à des années-lumière des approches rationnelles, analyses documentées, coûts  et signature des cabinets d’avocats internationaux. Mais en Chine la puissance à priori d’une grande firme juridique n’a aucune importance. Nous ne sommes pas au pays de droit, mais dans celui des relations, seul levier qui vaille.
Par jeu, je titille Maître Chen sur les pressions auxquelles lui aussi doit être soumis. Il ne répond pas tout de suite, souris légèrement puis s’envole dans une tirade antigouvernementale des plus subversives, soutenant son propos de grands gestes explicites. Un ami de Maître Chen entre dans la pièce, tout sourire, et s’assoit avec nous. La discussion s’anime encore d’avantage. Il est alors question du sinistre accident du Maire de Putian, en plein scandale de pots de vin sur des chantiers publics d’autoroutes, retrouvé mort à l’aube au pied de son immeuble. L’enquête de police ayant alors officiellement conclue à un malheureux accident… ménager : chute du 5ème étage de son bureau dont il aurait été en train de nettoyer les vitres.
-      -  Nettoyer les vitres au petit matin, le Maire de Putian. Quelle plaisanterie ! On l’a suicidé s’exclame Maître Chen. Il fallait bien éviter les éclaboussures.
Avant d’ajouter,
-      -  Et je ne vous parle pas de l’avortement forcé de cette femme Brésilienne d’origine Chinoise, camarade de « jeu » d’un notable local, et complice d’une autre affaire de corruption immobilière. Je fus chargé de sa défense et ai du changer 6 fois de téléphone portable pendant la procédure…

Un dur à cuir ce Maître Chen, don Quichotte luttant seul contre la mafia locale.




jeudi 19 novembre 2015

Tolérance sans compromis



Triste lundi à l’aéroport Charles De Gaulle, aérogare clairsemée habituellement si cosmopolite, au lendemain d’un week-end qui restera dans l’histoire comme celui du 13 Novembre 2015, celui où une poignée d’extrémistes se réclamant de Dieu, mais qui en réalité n’en sont que l’exacte contraire, ont semé la terreur dans la Ville Lumière, massacrant plus de 200 personnes, dont près de 130 morts ; par ce qu’elles eurent la malchance d’être au mauvais endroit au mauvais moment.
Les attentats de New-York du 11 septembre 2001 furent un coup de semonce épouvantable qui avait bouleversé le monde. Et depuis les choses n’ont fait que se dégrader, incidemment.
Chacun a son opinion quant aux raisons qui ont conduit à cela. Et mon propos n’est pas ici de me lancer dans une interprétation nécessairement subjective et partisane. Il y a pour cela des spécialistes. Juste de constater la montée des périls de cette guerre dissymétrique, glissement insidieux vers des tensions mondiales que le modeste entrepreneur-voyageur que je suis ressens profondément.

Le triple 7 d’Air China roule maintenant sur le taxiway vers la piste de décollage. A travers le hublot une vue saisissante sur le terminal 1 arborant fièrement les couleurs tricolores, symbole de « résistance » et de liberté face à ce fanatisme, en réalité ni plus ni moins qu’un fascisme féodal fédérant des marginaux endoctrinés qui, en marge de la société, partent dans des délires totalitaires sous prétexte de principes religieux.

12h30 locale. L’appareil se pose à Pékin au terme d’une longue approche dans le smog de la capitale. En transit vers Fuzhou, les yeux rougis par un long vol de nuit sans sommeil, je me plante sur une table de café, commande un jus d’orange et un café histoire de sortir de ma torpeur, puis connecte l’ordinateur pour jeter un coup d’œil sur le flux de mails en attente. A ma grande surprise, nombreux sont encore les messages de soutien provenant du monde entier, petits mots de relations professionnelles ou personnelles, d’autres citoyens du monde touchés par l’évènement.
Le café est épouvantable. Je le sirote sans plaisir en regardant passer les gens quand le fond musical de l’aérogare m’interpelle. Je ne l’avais par remarqué immédiatement, mais ce sont des airs de musique Française qui tournent en boucle, Piaf, Trenet, Bécaud joués à l’accordéon façon guinguette de Montmartre. Délicate et discrète intention de nos amis Chinois, dont je ne suis pas sûr qu’elle soit même perçue par ce tourbillon de voyageurs. Mais peu importe, le message discret est puissant.
Parcourant rapidement tous ces messages quelque chose me frappe : l’allusion faite plusieurs fois à la montée du Nazisme dans les années trente. Bien que le parallèle ne m’apparaisse pas au premier abord évident, je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement : tout comme les Allemands n’étaient pas, et de très loin, tous des Nazis, méfions-nous des amalgames insidieux fait par certains entre musulmans et islamistes, ce dernier mot étant le plus souvent employé pour désigner les extrémistes. Chacun sait bien qu’ils sont une infime minorité avec lesquels aucun compromis n’est possible. Et c’est pourtant sur cette confusion que d’autres extrémistes agitent chez nous, en Europe et ailleurs, le spectre de la peur, pour diviser et instiller un climat de méfiance, voire de défiance entre communautés, exactement ce que cherchent à faire les terroristes.

Ne tombons donc pas dans panneau en laissant s’installer le doute. Avec eux non plus, ces politiciens pervers, et tous ces gens bien-pensants glissant vers les thèses du Front National, aucun compromis n’est possible sur ces principes fondamentaux de Liberté et de Tolérance.
Et c’est peut-être là que l’Islam bienveillant, celui de la très très grande majorité des musulmans, a un grand rôle à jouer, en s’exprimant plus fort sur ce sujet crucial, pour éliminer, avec le reste de la coalition en marche du monde civilisé, ces nouveaux Nazis que sont Daesh.