jeudi 21 juillet 2011

Epilogue

Etourdis pas l’ivresse des hauts sommets nous redescendons un peu hagards. Surtout rester concentré pour éviter l’accident toujours possible. Je pense à nos équipiers restés au refuge du Goûter. Sans eux non plus nous ne serions pas montés. Ce « succès » est aussi le leur. Nous y sommes allés par ce que nous sommes partis à 5, ce n’est pas discutable.
Nous les retrouvons autour d’un thé brulant, moment de joie partagé sans effusion. Il y a des regards qui en disent long et ça suffit.

Et maintenant, what’s next?
L’appel des « hautes solitudes » ressemble à celui du désert et des océans : grands espaces, nature absolue, beauté brute, puissance des éléments.
Et cette petite voix qui recommence :
- Tu ne vas pas t’arrêter là, il y encore tant à découvrir…
En foulant le sommet de l’Afrique j’avais abordé une nouvelle dimension.
Toucher celui de l’Europe fut une confirmation.
Dans le champ des possibles il y a Mera Peak au Népal, 6500 m, ou l’Aconcagua en Argentines, 7000 m, mais il faut au moins 30 jours et il n’y a pas que cela dans vie.
Les rêves font avancer. Il en reste tant…

mardi 19 juillet 2011

Merveilleux enfer

Bien qu’inoubliable la nuit au refuge du Goûter est à oublier : Didier allongé en chien de fusil sur une petite table, Pierrot sous la table sur un tapis de camping, Pascal et moi assis sur les petits bancs de part et d’autre de la même table et Jean-Louis dehors dans sa petite tente. Ca ressemble un peu au Radeau de la Méduse façon montagne…
Inutile de préciser que dans ces conditions, à presque 4000 m d’altitude et sans acclimatation, nous ne fermons pas l’œil et comptons les quarts d’heure.

1h30 du matin. Le responsable du refuge déboule dans le réfectoire en gueulant :
- Debout la d’dant. Vous avez 5 minutes pour dégager !
Avec Pascal nous ingurgitons à la hâte quelques barres de céréales, buvons un peu d’eau froide et nous équipons pour tenter l’ascension. Le ciel est clair. Il va faire froid c’est sûr.
De leur côté Didier et Pierrot trouvent un place inconfortable dans le sas d’entré avant de pouvoir squatter un dortoir lorsqu’ils seront libérés.

Dehors la pleine lune illumine le paysage d’une lumière argentée et glaciale. Le vent se lève amplifiant le froid Sibérien. Combien peut-il faire ? Moins 10, moins 15 ? Nous chaussons nos crampons de glacier, vérifions une dernière fois l’équipement, nous encordons, puis entamons doucement la montée à petits pas cadencés, au rythme de notre respiration et du crissement des crampons dans le neige gelée, Pascal en tête de cordée.
Est-ce bien la réalité ? Je profite de l’instant, marchant comme dans un rêve vers le toit de l’Europe sous le ciel étoilé. Instant de grâce.
La première partie de l’ascension, assez facile, rejoint un premier mamelon par une large pente glacée assez raide avant de longer une étroite ligne de crête à environ 4350 m. A notre droite une vue vertigineuse sur les vallées piquetée des éclairages des agglomérations. Où est le ciel ? Où est la terre ? Nous voguons dans une autre dimension.
Nous redescendons un peu dans une vallée avant d’entamer la longue montée finale. L’effet venturi du aux reliefs renforce le vent et le froid avec. Courte pause ravitaillement. A cette altitude et par ce froid manger et boire demande un effort pourtant indispensable. Pascal n’est pas au mieux, ne parvient pas à se réchauffer et demande de faire un pause intermédiaire au refuge de Vallot. Nous y sommes presque. Arrêt d’une demi-heure. Certes, ici il n’y a pas de vent, mais sans exercice l’organisme ne se réchauffe pas. Il faut repartir.
Nous ressortons de l’abri de fortune. Allez, c’est maintenant que ça se joue !
Je me sens très bien, presque euphorique. A l’est le ciel grise doucement annonciateur de l’aube. Après quelques minutes Pascal se retourne pour me lâcher :
- Ce ne va pas Fred. J’arrête !
- Hors de question Pascal. C’est l’occasion de ta vie. Tu as déjà du renoncer une fois à 4500 m (pour raison météo). Cette fois-ci c’est la bonne. Allez Pascal ! Dans 45 minutes le soleil va se lever. Tu verras ça ira mieux.
Nous repartons. Devant Pascal est en difficulté c’est évident. Il n’avance plus, titube légèrement. Je l’invective.
- Allez Pascal, accroche-toi ! Nous allons le faire ensemble.
- Non Fred, je n’en peux plus.
Mais il s’accroche et continue d’avancer.
Il est environ 6 heures lorsque le soleil pointe à l’horizon, illuminant le paysage d’une chaude lumière orangée projetant nos ombres à l’infini tels des géants. Nous sommes à 4500 m et la pente est forte. Les crampons scintillent au soleil. Pascal se retourne. Je lis l’épuisement dans son regard et passe en tête de cordée.
- Ne lâche pas Pascal. On y est presque.
A partir de cet instant nous ne faisons plus qu’un, sachant pertinemment que nos destins sont liés. Impossible de monter ou de descendre l’un sans l’autre.
Les premiers rayons du soleil nous réchauffent imperceptiblement mais le vent se renforce. Nous progressons doucement, s’arrêtant quelques secondes toutes les 2 ou 3 minutes. Je me sens parfaitement bien et tente de passer une partie de mon énergie à mon coéquipier.
4600 m, nous voyons le sommet, marchant prudemment sur une fine arrête glacée. Pascal repasse en tête pour mieux gérer son effort. Je sais que maintenant rien ne pourra l’arrêter.
4700 m, nous y sommes presque mais perdons le sommet de vu.
4750 m, la pente devient moins forte. Je ne marche plus, je vole, euphorique, jubilation intérieure, satisfaction personnelle d’être là, ici et maintenant.
4840 m indique mon altimètre. Nous y sommes ! Je regarde Pascal fixement en le remerciant du fond du cœur pour son effort. Il est ailleurs. A quoi pense t-il ? Je sais que sans lui je ne serais pas là. Lui sait également qu'il ne le serait pas sans moi. Nous ne parlons pas, profitant juste de l’instant magique au sommet de l’Europe. Je fais un 360° : La France, l’Italie, la Suisse. Si Dieu existe, à cet instant précis il est avec nous.

lundi 18 juillet 2011

Premiers vertiges

Petite nuit entrecoupée de rêves étranges, histoires d’expéditions alpines ayant mal tourné, fantasmagorie de ce fascinant inconnu que, dans un demi-sommeil, l’imaginaire tente d’appréhender sans rationalité.
Et s’il ne faisait pas beau, nous ne pourrions pas monter ! Plate excuse, histoire de ne pas y aller sans avoir à se dégonfler…
Et pourquoi faire cela alors personne ne nous y oblige ?

6h : je jette un œil pas la fenêtre. La couche nuageuse se déchire laissant apparaître un ciel cristallin entre les cimes immaculées. Ventre serré je m’oblige à ingérer un copieux petit déjeuner en échangeant quelques mots avec Didier. Le trac est perceptible, inutile d’en rajouter.
Nous retrouvons nos compagnons d’expédition au pied de l’immeuble, direction le Fayet pour prendre le petit train vers « le nid d’aigle », début de l’ascension à 2400 m.
Montant doucement sur la voie à crémaillère à des angles pour le moins inhabituel, nous traversons les bancs de brume matinale entre lesquels la montagne se dévoile furtivement comme pour mieux se faire désirer.
Nous y sommes. Objectif de la journée rejoindre le refuge du Gouter que nous apercevons 1450 m plus haut au bord d’une impressionnante coulée rocheuse.
L’ascension démarre tranquillement par un chemin rocailleux. Avec l’exercice, doucement « l’angoisse » se dissipe. Je cale ma respiration sur le rythme de ma marche, une expiration tous les deux pas pour faciliter l’acclimatation de l’organisme à l’altitude.
Sur notre droite un impressionnant glacier charriant des tonnes de glace et de roches mélangées descend de la montagne tel un bulldozer creusant un énorme sillon.
Sur notre gauche l’Aiguille du Midi pointe sur une ligne de crêtes acérées, monde minéral à l’état brut, piquant et acéré défiant le ciel.
Nous avançons doucement sous un soleil radieux, les yeux grands ouverts pour ne rien manquer du spectacle.
3000 m, pause déjeuné. Didier a du mal à réguler sa respiration. 900 m plus haut le Refuge du Gouter nous domine, qu’il va falloir rejoindre par la coulée rocheuse après avoir traversé au pas de course une zone de chute de pierres particulière dangereuse. Régulièrement des éboulis se déclenchent. On attend le « retour au calme » puis nous lançons successivement dans la courte traversée sous le regard vigilant des compagnons à l’affut de toute nouvelle alerte. Tout se passe bien.

La pente devient plus forte. Nous ne marchons plus mais progressons « à quatre pattes » sur les rochers vers l’objectif au dessus de nos têtes. Pris de vertiges et de nausées Didier est à la peine. Après concertation nous décidons de scinder l’équipe en 2 groupes, en tête Pierrot, Pascal et moi, derrière Jean-Louis et Didier.
Progression prudente sur un terrain impressionnant de part sa verticalité où la moindre erreur de prise peut être fatale. Je pense à mon camarade Didier en souffrance un peu plus bas qui n’a pas d’autre choix que de continuer d’avancer. Allez Didier !

Plus que 200 mètres. Au passage d’un goulet plus étroit en me contorsionnant je frotte mon sac à dos sur la paroi rocheuse et sens quelque chose se décrocher. Je me retourne et aperçois la tente tomber dans la pente. Merde, quel con ! Dans le meilleur des cas cette nuit la haut il fera moins 5°. A cette altitude impossible de dormir dehors sans tente. Les images se bousculent dans ma tête. Les options aussi dont la première de redescendre en espérant retrouver le petit sac de 3 kg couleur marron foncée arrêté parmi tous ces rochers. 250 mètres plus bas j’abandonne. Autant rechercher une aiguille dans une meule de foin. Il faut remonter calmement pour aviser. Je culpabilise « à mort » en pensant à mes compagnons, particulièrement Didier qui sera au bout du rouleau.
Arrivé au refuge du Gouter nous tombons sur un cloaque infâme où quelques dizaines de grimpeurs tentent de trouver un réconfort dans des conditions dantesques. Evidemment toutes les couchettes sont réservées. Après palabre avec un responsable très désagréable j’obtiens le droit de rester dans le réfectoire jusqu’à 1h30 du matin.
- Ca fait 145 euros et vous serez ensuite violemment expulsés juge t-il opportun d’ajouter !
Sans commentaires. J’enrage, ne réponds rien et paye cash à l’avance « la prestation ».
Avec Pierrot et Pascal nous tentons de nous installer dans un coin prenant grand soin de garder un peu de place pour Jean-Louis et Didier qui devraient finir par arriver dans ce bordel infâme.
L’ambiance est indescriptible : imaginez une sorte de cabane en bois ou s’entassent quelques grimpeurs dont certains déjà au bout du rouleau ne se comportent plus vraiment comme des Hommes normaux. C’est glauque, sale, inconfortable, ça pue mais au moins il fait chaud.
Une heure et demi plus tard nous nos deux compagnons nous rejoignent. Didier ressemble à un fantôme. Totalement épuisé il semble revenir d’outre tombe, d’un monde où il n’a pas eu d’autre choix que de s’échapper de la mort, mobilisant 120% de son énergie pour parvenir jusqu’ici. Emus aux larmes nous nous tombons dans les bras.
Honteux j’explique la situation. Didier me dit gentiment que toutes façons il ne se serait pas vu bivouaquer ce soir dans la tente et d’ajouter qu’il en resterait là dans cette ascension. Pierrot qui a cassé une chaussure doit aussi renoncer au sommet. Nous mangeons vite fait quelques barres de céréales en tentant d’évaluer la situation : Pascal se sent capable d’y aller après avoir du renoncer à 300 m du sommet en septembre dernier, je ne me vois pas en rester là, et Jean-Louis qui l’a déjà fait propose avec élégance de rester au refuge avec Didier et Pierrot.
Nous partirons donc à deux pour tenter l’assaut final et décidons de profiter du ciel clair pour une approche de nuit sous la pleine lune en partant dès 1h30.

jeudi 14 juillet 2011

Camp de base n°1

Chamonix était d’abord pour moi le nom des petits gâteaux à l’orange que mon père achetait de temps en temps quand nous étions enfants et que nous dégustions avec délectation comme de gros bonbons un peu collants.
Au pied du Mont-Blanc et de la mer de glace c’est surtout un charmant village, point de départ des grandes courses vers les plus hauts sommets alpins.
Nous y sommes. La météo du jour n’est pas très engageante, une épaisse couche de nuageuses plombant tout le paysage encadrant la vallée.
Nous sommes accueillis chez Michel, passionné de montagne vivant seul dans un minuscule studio en sous sol d’un joli chalet. Victime d'un récent accident de parapente, à regret il ne pourra nous accompagner. Il y a là Jean-Louis, notre sympathique chef d’expédition, ami d’enfance de Didier mon coéquipier d’aventures, ainsi que deux autres compagnons qui nous accompagnerons pour cette tentative d’ascension du toit de l’Europe en totale autonomie sans passer par les refuges.
Le briefing improvisé semble au premier abord un peu approximatif, entrecoupé d’anecdotes de montagnards racontant risques et péripéties de leurs précédentes courses en montagne, histoire d’exorciser les dangers non négligeables de ce type de tentative. Et il faut bien reconnaître que la pression monte pour les apprentis que nous sommes, comme un léger trac accompagné de très perceptibles signaux mettant le corps en alerte avant d’attaquer l’ascension. Des images d'aventures de montagne reviennent alors à l'esprit, récits de Frison-Roche lors de ces magnifiques expéditions alpines payées parfois au prix fort.

Matériels rassemblés après une escale au magasin du coin pour louer piolets et crampons de glacier, nous préparons les sacs à dos dans une légère excitation.
Pour l’ascension l’ennemi c’est le poids et le froid, quadrature du cercle au moment de fermer les sacs : prendre ou ne pas prendre la paire de chaussette supplémentaire ? 3 litres d’eau ou seulement 2,5 ? Et cette satanée tente qui pèse 3 kilos à elle toute seule ; sans parler de la popote, du casque et tout l’accastillage nécessaire pour monter encordés… Pas possible de faire moins de 15 kg !

23h45 : pas vraiment sommeil et pourtant il faut dormir. Réveil demain à 6h pour un départ à 7h. Les prévisions météo sont bonnes. J’ai déjà les jambes qui gigotent.

mercredi 13 juillet 2011

Prêt, partez !

Mercredi matin 9h30 : après avoir consulté la météo Suisse, un dernier mel de Jean-Louis confirme le probable créneau météo pour tenter l’ascension du Mont-Blanc vendredi et samedi. C’est décidé nous partons donc vers Chamonix en espérant que l’instabilité atmosphérique de la semaine ne vienne pas contrarier le plan à la dernière minute. Nous verrons bien…

Partir est déjà une libération : cela fait des semaines que nous parlons de l’expédition et la pression commençait à monter, entre excitation et légère appréhension.

Cruise control calé à 135 km/h, nous traversons la France en diagonale vers le sud-est, profitant de somptueux paysages le long de nos belles mais chères autoroutes. Agréable road-movie dans le flot des vacanciers descendant vers le soleil.
Conduite à l’Américaine du pick-up Nissan chargé à raz bord – matériel de camping, d’escalade, de randonné, de plongé, d’astronomie – pour 2 semaines de vacances itinérantes au contact de nature. Pour une fois nous n’irons pas loin, histoire le découvrir quelques merveilles de notre « douce France », tout de même la première destination touristique au monde. Il doit bien y avoir une raison : d’accord les françaises sont charmantes, la cuisine délicieuse et les vins parfois excellent, mais serait-ce suffisant ?
L’autre jour un client américain me disait qu’il adorait notre pays « par ce que sur un si petit territoire on découvrait tous les paysages du monde habités par un peuple de râleurs cultivant la douceur de vivre ». Pas mal résumé Harley !