vendredi 15 août 2025

Du maelstrom aux forces telluriques...

Nous poursuivons notre pérégrination vers l’ouest, longeant le littoral breton comme on suit un fil d’Ariane gravée dans la roche. À chaque détour le paysage s’ouvre, dévoilant des perspectives à couper le souffle. Les abers apparaissent soudain, estuaires intimes où l’océan, d’une limpidité parfaite, telle une respiration profonde, va et vient au gré des marées. Les eaux se parent de vert émeraude ou d’acier, reflétant un ciel changeant, tantôt doux et ouaté, tantôt sombre et tourmenté.
Une force invisible nous attire. Ce n’est pas un simple cap géographique, mais comme si une boussole intérieure nous guidait vers un bout du monde. Le chemin nous mène naturellement jusqu’au phare du Conquet, dressé à la pointe ultime du continent européen. Sa silhouette massive et immobile semble immuable, tandis qu’à ses pieds l’océan compose des arabesques mouvantes, puissants maelströms éphémères dessinant de fascinants tourbillons, comme pour signifier qu’ici s’arrête le monde des hommes et commence celui des océans et leurs mystères.
Le regard se perd dans l’horizon. Au-delà, l’Amérique se cache derrière des milliers de milles marins. On essaie d’imaginer nos lointains ancêtres face à cette immensité. Que pouvaient-ils bien concevoir ? Voyaient-ils une frontière infranchissable ou la promesse d’un ailleurs ? Les vagues, en se brisant, semblaient-elles porter des messages d’îles invisibles ou d’êtres fabuleux ?
Pour tenter de comprendre, nous décidons de rendre visite aux esprits de ces hommes et femmes d’un autre âge. Direction Carnac, dans l’intérieur des terres, où l’histoire ne se lit pas dans des livres, mais dans la pierre. Les alignements de menhirs se dressent là depuis des millénaires, figés comme une armée silencieuse dans de vertigineuses perspectives. Et les dolmens, tels des portes vers d’autres mondes, signaux adressés à l’univers ou aux esprits.
Dans le vent qui court entre les pierres, on croit percevoir un souffle ancien. On devine la ferveur de ceux qui, bien avant nous, cherchaient à dialoguer avec l’invisible, à inscrire leur passage dans l’éternité. 

Entre force tellurique et appel insondable de l’océan, la Bretagne nous aura enchanté de sa nature exceptionnelle


mercredi 13 août 2025

Dentelle Bretonne

La côte nord de la péninsule se plisse et se replie comme une dentelle sur l’Atlantique. Chaque avancée de granit mord la mer, chaque anse en retient l’onde. La roche dessine des arabesques, ourlées de mousse, comme si le temps avait brodé pierre par pierre un col somptueux à la Bretagne.
Entre deux caps, des criques émeraudes s’ouvrent comme des secrets. L’eau y dort parfois, d’un vert profond, jusqu’à ce qu’un rayon s’y glisse et l’allume de lumière vive. 
Plus loin, les brisants éclatent, blancs et rageurs, contre des pointes noires. Leur grondement se mêle au souffle du vent, vaste et libre. 
Dans les anses, de petites grèves de sable blanc se nichent, comme si la mer avait oublié là quelques éclats d’été.
Le ciel, ici, n’est jamais le même deux fois. Les nuages se gonflent en choux-fleurs aux reflets dorés, et l’océan devient une toile mouvante, peinte de gris ardoise, de bleu roi, de vert de jade. Les contrastes se succèdent, brusques, comme les humeurs de ce pays.
À quelques pas de la mer, la terre se découpe en parcelles serrées, bordées de murets de pierre sèche où s’adossent de somptueux massifs d’hortensias. Boules bleues, roses ou blanches, gonflées de sel et de lumière, elles apportent au granit une tendresse inattendue. Aux entrées des villages, aux carrefours anciens, ou sur des promontoires battus par le vent, des croix de granit érigées, solides et silencieuses. Gardiennes du temps et du temple, elles veillent sur la mémoire des lieux et sur ceux qui passent.
Les villages, eux, se dressent comme des forteresses : maisons de granit aux toits sombres, alignées pour défier les bourrasques et protéger les leurs. Les gens d’ici portent la marque de cette nature. Ce pays les a rendus résistants, parfois rebelles, mais fidèles à ceux qui gagnent leur confiance.
Et puis, il y a la route. Ce ruban qui longe l'océan, s’accroche aux corniches et s’enroule autour des caps. Chaque virage ouvre une nouvelle fenêtre : phare planté dans l’écume, plage fine comme un sourire, pointe qui fend l’horizon. On y roule comme on respire : avec l’envie de voir ce qui vient après, avec la certitude que chaque détour est une promesse.


mardi 12 août 2025

Sur la route

Partir en van, c’est franchir un seuil invisible. On quitte le quotidien pour glisser vers une dimension parallèle où les aiguilles de l’horloge semblent ralentir. D’abord, il faut réapprivoiser le véhicule : trouver où poser la cafetière pour qu’elle ne bascule pas dans les virages, ranger les objets pour qu’ils ne sonnent pas trop sur les bosses de la chaussée et les retrouver à portée de main. Et n’emporter que le nécessaire, rien que le nécessaire. 
 
Le moteur ronronne, une vibration rassurante se propage dans l’habitacle, il est temps de partir.
Les premiers kilomètres gardent encore un parfum d’habitude : on vérifie la route, on pense à la prochaine étape. Puis, presque sans s’en apercevoir, on glisse dans un autre rythme… ou plutôt dans un non-rythme. La vitesse n’est plus une contrainte mais une respiration. Chaque virage ouvre une scène nouvelle : un champ d’herbes hautes qui ondule, un hameau endormi aux volets entrouverts, l’éclat argenté d’une rivière qui serpente sous les arbres, l’horizon irisé de l’océan. Chaque arrêt devient une halte sensorielle. On coupe le moteur et le silence prend toute la place, juste troublé par le chant des oiseaux, l’écoulement d’un ruisseau ou le souffle du vent dans les branches. On s’assoit sur le marchepied, un mug entre les mains, et on se laisser aller à ne rien faire d’autre. L’odeur de terre humide après une averse,  la chaleur du soleil sur le ruban d’asphalte, l'air iodée de la corniche, la texture rugueuse du bois d’une table de pique-nique.

Le voyage devient une parenthèse. Les contraintes disparaissent. Les horaires se dissolvent. On dort quand la nuit tombe, on mange quand la faim se fait sentir. Le monde semble s’élargir depuis ces quelques mètres carrés sur roues. Paradoxe étonnant qui libère l’esprit : l’espace intérieur se dilate, le temps se fait fluide. On n’empile plus les minutes, on accumule les instants.
Dans cette bulle roulante, le présent devient souverain. On s’émerveille d’une lumière dorée de fin de journée ou de l’ambiance d’une place de village. Il n’y a plus de “demain” ni “d’après”, juste un “maintenant” que l’on étire au maximum.

 



mercredi 6 août 2025

Pompe à feu !

 

S’approcher de l’auto est déjà une émotion. Ses formes à la fois tendues et galbées sont une invitation au péché. Ouvrir la porte et se faufiler dans le baquet est déjà un passage à l’acte. L’odeur de la machine m’envahit, à la fois brute et sensuelle. Celle des vieux cuirs et des hydrocarbures millésimés. Effleurer le volant en bois avec les gants de course, le regard capté par tous les compteurs ronds du tableau de bord d’un autre âge, tels des montres précieuses à la vitrine d’un horloger.
Tourner la clé, activer la pompe à essence, donner deux coups sur l’accélérateur et presser le bouton « start » ! Le petit déclic net qui précède le réveil de la bête, puis le grondement brutal, assourdissant, annonçant la personnalité sauvage de la machine tandis que les aiguilles des paramètres moteurs se stabilisent. Le gros V8 Ford de 5 litres, gavé par le carburateur quadruple corps, déchire soudainement le calme de l’atelier de ses borborygmes viscéraux à faire vibrer même les plus indifférents aux émotions mécaniques.
Pied gauche sur l’embrayage très dur, j’enclenche la première, savourant la fermeté de la boîte mécanique, précise, sèche, sans concession. 
À peine relâchée la pédale d’embrayage très directe, la Ford Cobra Shelby Daytona 1964 bondit en avant avec une agressivité palpable. Le moteur au couple énorme ne demande qu’à grimper rageusement dans les tours, chaque rotation de l’aiguille du compte-tours s'accompagnant d’un grondement puissant à travers les échappements latéraux.
Les passages de vitesse deviennent alors jubilatoires. Le levier court, rigide, parfaitement guidé, transmet sans filtre le mouvement précis de la transmission. Tout comme la direction très directe. Rétrograder pour le plaisir à l’entrée des virages de la départementale, avec juste la pointe d’agressivité nécessaire pour déclencher des explosions sonores accompagnées de gerbes de flammes bleutées jaillissant latéralement, spectacle brut et fascinant illuminant la route dans la pénombre tombante.
La rigidité exceptionnelle du châssis tubulaire en acier chromoly s'affirme à chaque courbe, offrant une tenue de route sans faille pour un pilotage incisif, nerveux, exaltant. Les suspensions très fermes équipées d’amortisseurs réglés pour la performance me renvoient directement toutes les aspérités de la chaussée, amplifiant le sentiment fusionnel avec la voiture. Solidement harnaché dans le siège-baquet en cuir noir, je ressens chaque transfert de masse, chaque infime vibration, intimité mécanique dans ce corps à corps avec l’auto. Et j’essaie d’imaginer les sensations ressenties par les vrais pilotes, à 300km/h dans la ligne droite des Hunaudières lors des éditions des 24h du Mans 1964 et 65. Quelle bravoure aussi !
La campagne défile rapidement autour de moi, succession de courbes serrées, de montées et descentes typiques de notre bocage. Le moteur crache maintenant sa puissance sans retenue, les pneus larges crissent à chaque prise de virage audacieuse, tandis que mon cœur accélère à l'unisson de cette ivresse mécanique. Je suis ailleurs. Seul compte alors le plaisir indicible de maîtriser cette machine de légende.


mardi 1 juillet 2025

Volcanique !

 

Magnifique journée de fin juin, annoncée comme caniculaire, et nous voilà partis à l'assaut du mythique Puy-de-Dôme à vélo. À peine six kilomètres d'ascension, mais un dénivelé brutal de 600 mètres avec une pente maximale à 16% ! Beau défi sportif sur ce pain de lave dominant majestueusement la chaîne des Puys, paysage somptueux semblant tout droit sorti d'un décor de Jurassic Park.
La route, exceptionnellement ouverte aux cyclistes pour l'occasion, est strictement réservée aux 400 participants. L’atmosphère est à la fois exaltante et légèrement intimidante, subtil mélange d'excitation et d'appréhension qui accélère le pouls avant même les premiers coups de pédale. Très rapidement, la pente se durcit, dépassant les 10%, et l’effort devient palpable. Le corps entre alors dans une danse exigeante : le rythme cardiaque augmente pour irriguer puissamment les muscles sollicités. Chaque inspiration apporte son flux d'air parfumé de blés murs remontant de la vallée, chaque expiration chasse le stress accumulé. Mes jambes tournent en cadence régulière, telles un métronome intérieur qui rassure et équilibre parfaitement l'effort et la douleur.
Psychologiquement, tout mètre gagné est une petite victoire. La concentration sur l'instant présent évite de ressentir l'intensité totale de l'engagement et repousse les limites perçues de mon endurance. L'étroite route serpente élégamment autour du massif en colimaçon vers la droite, dévoilant progressivement sur ma gauche un panorama vertigineux. La vue s’ouvre sur les volcans éteints aux cônes parfaits recouverts de prairies luxuriantes. Les bruits de la nature environnante, chant des oiseaux et léger bruissement de l’air, offrent une bande sonore apaisante qui soutient mentalement l’intensité physique.
Par erreur je n'ai pas pris de repère kilométrique au départ, ignorant donc la distance exacte qui me sépare du sommet. Je pédale alors sans réfléchir, totalement immergé dans une sorte d'état méditatif où le corps en mouvement communique directement avec mon esprit. La sueur perle abondamment, rafraîchissant ma peau chauffée par le soleil ardent. Dans mon effort, je dépasse de nombreux cyclistes, surpris moi-même par la régularité presque hypnotique de ma progression.
Bientôt, les encouragements chaleureux d'une foule enthousiaste réunie au sommet accueillent les arrivants. Ce soutien inattendu stimule une dernière libération d'endorphines provoquant un moment d’euphorie un peu hors du temps.
La ligne est passée. Dans un état second je poursuis mon chemin sur le sentier étroit parcourant la crête du dôme, savourant chaque seconde supplémentaire comme un bonus. Moment de contemplation des perspectives à perte de vue, prolongeant cet instant unique de satisfaction de l'effort accompli.


jeudi 12 juin 2025

Dans la tête de Léonard de Vinci

La visite du Clos Lucé, à Amboise, nous plonge dans le monde extraordinaire de Léonard de Vinci. 
Imaginez un esprit qui, au lieu de fonctionner en ligne droite, fait des loopings, des vrilles, des ricochets. Tandis que nous essayons d’avoir des tiroirs bien rangés – les maths ici, l’art là, les recettes de cuisine ailleurs – Léonard semblait disposer d’un seul et immense espace décloisonné, où la peinture discutait avec l’anatomie, la mécanique et les oiseaux.
Avait-il aussi une faculté extra-temporelle ? Tandis que Florence dessinait des madones, lui disséquait des cadavres pour comprendre le sourire de Mona Lisa. Et pendant que d’autres peignaient des batailles, lui rêvait de machines volantes, de sous-marins et de ponts mobiles. C’est comme si chaque idée le conduisait à une autre, sans véritable hiérarchie. Un vol d’oiseaux l’inspirait autant qu’un traité d’Euclide. Il notait, dessinait, questionnait. Dans ses étonnants carnets, les équations côtoient les croquis, les réflexions sur le débit de l’Arno, et des fulgurances poétiques : « Le mouvement de l’eau ressemble à celui des cheveux » ou encore, « Une fois que tu auras goûté au vol, tu marcheras à jamais sur terre les yeux tournés vers le ciel. »

Sa singularité tenait aussi sans aucun doute à son insatiable curiosité. Il ne voulait pas seulement savoir comment les choses fonctionnaient, mais pourquoi elles étaient belles. Pour lui, l’art et la science se confondaient et devaient révéler les lois secrètes de la marche de la nature et du monde.
Léonard vivait dans une sorte de bouillonnement intellectuel, préférant sans doute la question à la réponse, non par distraction, mais par enthousiasme. Contraste saisissant entre l’attention aux moindres détails de ces tableaux, chef-d ’œuvres magistraux, et ses carnets presque brouillons griffonnés frénétiquement dans son écriture à l'envers, histoire d'y ajouter une touche de mystère et de fantaisie.
Dans la tête de Léonard, chaque idée était une promesse. Aurait-il croisé Jules Verne dans un autre espace-temps que leur rencontre eut produit non seulement l’extraordinaire, ils en étaient coutumiers, mais peut-être le surnaturel.

Quittant le Clos Lucé, nous déambulons dans les ruelles d’Amboise. A quelle époque sommes-nous déjà ?

samedi 31 mai 2025

5 jours, 5 cols : le Tourmalet


Petite boule au ventre ce matin au moment d’enfourcher la bicyclette. M’attendent 19 km d’ascension, 1400 m de dénivelé avec un pente maxi à 13% et un finish à 11, jusqu’au sommet du Tourmalet perché à plus de 2100 m. Le pinacle du cyclisme pyrénéen hors catégorie ! 

Aucun doute sur mon mental, je suis déterminé comme jamais et assez confiant après les ascensions précédentes, notamment celle d’hier sur l'Aubisque. Mais la crainte d’une défaillance physique toujours possible au terme de cette intense aventure sportive de 5 jours. Ce serait vraiment dommage.
Allez, ne t’écoute pas trop et vas-y me souffle la petite voix intérieure.

Partir est une délivrance. Le corps se met en mouvement, l’oxygène irrigue le cerveau, et l’esprit se détend.
Déjà 7 km jusqu’à Barèges. La sortie du village est rude et je sens une contracture dans le mollet gauche. C’est drôle comme cela prend alors de l’importance. Se relâcher, changer un peu de position, passer en danseuse pour s’étirer. Et ne plus y penser…
Encore 10 km d'ascension. Le paysage s’ouvre sur la perspective de super-Barèges à mi-chemin du sommet. A cette heure matinale, encore peu de cyclistes dans cette montée légendaire. J’en dépasse plus que je ne me fais dépasser. Pas la peine d’essayer de s’accrocher. A quoi bon ? Je suis dans mon rythme et ce challenge est uniquement personnel.
En entrant dans Super-Barèges je manque de trébucher sur une pierre que je n’avais pas vue sur la chaussée. Le pneu crisse et la roue avant fait une embardée. Même pas tombé ! Mais je crois voir une déchirure sur l’enveloppe. Merde, j’ai bien une chambre à air mais pas de pneu de rechange. Ce serait vraiment trop bête de devoir s’arrêter pour raison technique. Un peu préoccupé je continue en surveillant le petit morceau de caoutchouc qui s’est arraché. Plus que 5 km de lacets spectaculaires. D’un côté la montagne brute et minérale, de l’autre le vide. La roche brille sous le soleil déjà ardent, donnant au paysage une touche de magie. Sur le revêtement dégradé, des peintures de guerre au nom des champions du Tour de France. Je profite du moment dans une sorte d’euphorie, maintenant certain d’atteindre mon but.
Les 400 derniers mètres à 11% sont comme une sorte de toboggan à l’envers. Pédaler en danseuse tel un forcené jusqu’au panneau d’arrivée pour ne pas repartir en arrière. Poser le pied enfin comme sur une terre promise, lever le nez, et profiter d’une perspective XXL où serpente le ruban d’asphalte, fantasmes de bien des cyclistes. Instant de grâce.

Et de 5 !